Invocation avant le rêve (Amélie Murat)

Visage essentiel qui m’êtes refusé :
Lumière du regard et chaleur du baiser,

Temple du front, jardin du sourire... ô visage !
Dans mon rêve, je veux, j’attends votre passage.

Je ne consens, ce beau minuit, à m’endormir,
Qu’afin que vous puissiez, sur mon sommeil, venir...

Tant de jours s’useront avant que je vous voie,
Visage élu, clarté dans l'ombre de ma voie ;

Tant de jours où j’irai parmi ceux-là, ceux-ci,
Leur dérobant mon espérance ou mon souci.

Mes jours perdus, à ces figurants je les prête ;
Mais les nuits... ah ! leur porte interdite et secrète

Ne s’entr’ouvre qu’au pas des seuls initiés :
Et je veux, et j'attends que vous la franchissiez !

Lorsqu’au clair du réveil je dépouille mes rêves,
Tel un enfant scrutant les coquilles des grèves,

Si je n’y trouve point vos traits, visage ami,
C’est vainement que j’ai rêvé, que j’ai dormi !

Venez, je fais le vide au chœur de ma mémoire
Où la veilleuse d'or lustre la dalle noire ;

Venez, je le demande au nom de la nuit d'août
Riche de parfums joints traînés sur les vents doux...

Des étoiles sillant les unes vers les autres,
Quand mes regards obscurs n'atteignent point les vôtres ;

Au nom du grand silence où les songes épars,
Sous les sommeils humains, glissent leurs justes parts.

Venez, pour qu’ayant foi dans mon rêve, je sente
Malgré la solitude où votre ombre est absente,

Qu’en un point de l'espace, et le seul azuré,
Vous vivez... et qu’un jour je vous retrouverai !

Venez, pour que demain je garde sur ma face
Le reflet de bonheur, de passion, de grâce,

Dont les yeux féminins restent illuminés
Quand l'amour a souri sur leur miroir... Venez !

Je sens, molle déjà, que le somme m'invite :
Le nœud de mes pensers s'embrouille... ah ! venez vite !

Soyez la belle image avec qui l'on s'endort
Entre la dalle noire et la veilleuse d’or ;

Le seul hôte du chimérique paysage
Où l'on s'enfonce... où l'on se perd... Venez, visage !


Amélie Murat, Chant de minuit (1927)