Père, voici que l’homme (Jean-Claude Renard)

Père, voici que l’homme est là comme le blé
qui se nourrit de vous pour vous nourrir de lui,
qu’il remonte du temps comme un corps fécondé
pour produire avec vous ce qui doit porter fruit,

qu’il est là comme l’arbre et là comme le pain
levé dans le limon dont il est le mystère,
dont il n’est l’eau, le sel, le sens et le raisin
que pour vous faire don des vignes de la terre,

pour accomplir en vous la semence du sol,
Seigneur, et la mûrir dans la lumière d’août,
et tirer des sillons de l’unique parole
cet homme essentiel qui n’est homme qu’en vous,

cet homme possédé et promu par le feu
qui transforme la chair en un vrai corps vivant,
qui fait du corps charnel où s’était pris le Dieu
un corps qui dans le Dieu se prend à son vrai sang,

un corps ouvert, Seigneur, soudain comme la mer,
un corps qui se connaît après s’être dissous
et qui vous recevant en vous donnant sa chair
reçoit de votre Esprit et se reçoit de vous,

et qui s’étant reçu en se liant au Christ
lie à son tour en lui le monde originel
pour le lier au Christ qui lie tout dans l’Esprit
et du temps transmué fait son corps éternel !

Père, voici que l’homme est devant vous levé
pour devenir celui qui doit devenir l’homme,
qui doit prendre le nom dont vous l’avez nommé
et dont vous attendez que l’œuvre se consomme,

qui doit prendre son nom qui est un nom de gloire,
un nom de ressemblance, un nom de sainteté,
et l’extraire à la fois du sang de son histoire
et de l’amour qu’en vous vous lui avez donné,

le nom qui est son sens et qui est son vrai signe,
et qui vivant depuis que vous l’avez fondé
dans les sources du monde et les jours de la vigne
doit croître comme l’or qui monte de l’été,

et connaître la loi de sa coulée profonde,
et connaître son poids, son ordre et sa mesure
en assumant sa loi pour qu’elle soit féconde
comme la loi de l’arbre assumant sa verdure,

et assumer sa loi en connaissant le Christ
qui est la loi totale, et le centre des noces,
et le corps absolu en qui tout s’unifie,
et tout porte sa grappe, et tout connaît sa force,

et en qui tout reçoit la puissance d’aimer
pour que Dieu s’ouvre à l’homme et reçoive de lui
cet esprit et cette eau et ce sang échangés
où tout se transfigure et tout est accompli !

Père, voici que l’homme est devant vous vivant
et qu’il sait que le Christ est son centre parfait,
qu’il est le corps du monde arrivé à son sens,
formé de son destin et l’ayant assumé,

qu’il est le corps qui lie et l’arbre universel
où la grâce de Dieu et le désir du monde
liés comme les eaux dans la mer maternelle
pour la même moisson s’unissent et se fondent,

qu’il est l’unique corps auquel il faut que l’homme
se scelle par la mort et l’amour et l’esprit
pour vivre de la vie et être vraiment l’homme,
être le Christ en l’homme et l’homme dans le Christ,

et l’homme en même temps qui ne peut rien sans Dieu
et sans qui Dieu n’est rien que le plus haut silence
et sans qui l’œuvre vive et profonde du feu
ne porte pas le monde à son incandescence,

et qui sont comme un seul sans jamais se confondre,
vous, Père, qui donnez, et lui qui vous reçoit
pour se changer en vous et pouvoir vous répondre
en vous rendant à vous tout chargé de son poids,

d’un poids d’homme à présent fait de votre mystère
et qui, fait corps du Christ qui fut corps de son corps,
peut maintenant en vous glorifier la terre
et rassembler sa joie dans la neige et dans l’or !


Jean-Claude Renard, Père, voici que l’homme, 1955

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