Les racines de la tombe (Mathilde Delaporte)

À Ernest Prévost


L’exil, c’est de n’avoir personne au cimetière.
On n’est point d’un pays où l’on n’a pas de morts,
Et l’on reste étranger sur un sol dont les corps
D’où sortit notre corps n’ont point fait la poussière.

On n’est enraciné que le pied dans la terre
Par les aïeux défunts ; seuls les rameaux sont forts
Que les morts du tréfonds du sol poussent dehors :
Il faut qu’un pays soit un peu notre matière.

Car nous ne sommes plus, sur la terre, aujourd’hui
Faits du même limon. Chacun est de celui
Qu’a formé lentement la cendre des ancêtres ;

Et notre cœur, à ce seul pays est lié
Où, par les morts issus un peu des mêmes êtres,
L’homme et le sol deviennent frères à moitié.


Mathilde Delaporte, En Demi-teintes, 1913