Tête perdue (Pierre Reverdy)

Dans la rue où personne ne passe
Entre le numéro 13 et le numéro 30
Quelque temps qu'il fasse
Tout ce jour-là et les suivants
Je suis là j'attends
Je t'attends

De loin de là-bas de partout
D'où tu viens tu ne reviendras pas
Tu as connu ce monde et l'autre
Et tout ce que tu ne connaissais pas
Ce que tu niais
Ce dont tu riais
Mais le soir où il a fallu partir tu pleurais

Maintenant la cloche sonne et je suis là
Près de moi il y a des gens qui ne me regardent même pas
D'autres que j'ai vus et qui ne me voient pas
Des gens riches et d'autres qui ont du talent
Enfin tous ceux dont on parle en ce moment
Et toi où es-tu
Pourquoi n'est-tu pas encore revenu

Un grand bruit se fait dans la cour
Ce n'est pas encore pour moi ni pour eux
C'est ton tour
Te voilà
Toujours triste
Quelle figure
Il y a des gouttes de pluie qui brillent
Dans ta chevelure


Pierre Reverdy, La lucarne ovale, 1916