Col du grand bois (Jean Joubert)

Avant le col, un sanglier franchit la route traînant derrière lui des guenilles de brume, s’enfonce dans la futaie où la neige craque.

Nous connaissons la nuit déjà, la peur si proche, puisque l’obscur aux roches se frotte et que le ciel s’arrache chargé d’oiseaux.

Enfin voici l’auberge basse sous les arbres que l’on croirait repaire sournois d’assassins dont les cordes et les couteaux s’apprêtent tandis que le voyageur tremble dans la soupente.

« Quel lieu terrible et noir ! » dites-vous, mais je vous prends la main, je vous guide vers le perron désert. Vous relevez un peu votre jupe, vous frissonnez et, dans la cour, la faible neige déjà brouille les traces tandis que la voiture s’éloigne dans l’allée.

« Je viens d’ailleurs, dites-vous, de très loin, je vous raconterai plus tard, vous entendrez, vous écarterez le malheur. Cette rencontre fut bénie, mais pourquoi fallait-il que notre route passe par ces montagnes, pourquoi la nuit si vite tombe-t-elle, alors que dans la plaine s’attarde encore la clarté ? »

La porte s’ouvre, un feu brûle dans l’âtre, des ombres devant nous s’inclinent. Dans la chambre bleue, nous restons face à face serrés dans le silence de la neige qui, de langues légères, lèche les vitres.

Vous dénouez vos cheveux, écartez votre robe, vos seins se lèvent, lunaires et glacés.


Jean Joubert, Hors Jeu, n° 5/6, mars 1990