Contre la crédulité des certitudes (Otto Ganz)

Addendum admiratif au Dortoir des anges de André Chabot


Qui que sommes, bretteurs de formes, écrivains, poètes, luministes, humains, psychopathes célèbres ou méconnus, empiriques, diffusons la tromperie. Nous ne nous sommes rendus compte de rien et nous avons même estimé qu’était là notre devoir !!! D’autres ont suivi, parfois sans y penser. Puis plus personne n’y a pris garde !!! Nous nous sommes éloignés de la vérité la plus organique. Nous avons, c’était notre rôle, modelé la vérité, la rendant plus vraie, plus réaliste, plus opérative. Pourtant, il faut, entendez-vous ?!! il faut le rappeler : la mort est une idée. Oui !!! Vaste idée !!! Mais rien qu’une idée.

Qui sommes-nous, poètes, artistes, jardiniers et ferrailleurs, pour promouvoir qu’en la mort résiste un mystère ? La mort est le vide, la mort est l’absurde, la mort n’a de place que parce que nous l’éloignons, luttant ou repoussant ce qui menace. La mort est une idée, vous dis-je, clair en tête et voix d’avant, moi qui voyant par ses yeux ne vois rien !!!

Qui pensons-nous être qui rabâchons qu’est signifiant le fait de craindre ? Nous nous trompons, je l’assure !!! Nous nous enferrons dans une feinte comme une carcasse au crochet. Nous donnons identité, nous allégorisons la frayeur des fins. Suivez-moi jusqu’au bout : insufflant vie et poids aux ombres, nous entérinons une force parce que, dépassés, nous imaginons cette force telle qu’elle nous dépasse.

Tout vivant, désireux de jouir pleinement de cet état, se trompe. Il est déjà en train de mourir. Et si l’on ne peut qu’être ou pas mort, tout vivant l’est déjà. Tout vivant est mort par sa naissance : tout être mort chaque fois que naquit. Mort par état de naissance et né à nouveau après chaque mort et se confondent les deux lieux en un seul. Que savons-nous de la réalité dans laquelle nous traînons ? Si nous estimons l’imagination sans limites, reconnaissons au moins que notre capacité d’imaginaire est limitée par un acte vertigineux : notre inconscience absolue de méconnaître est proprement infinie.

Nous nous voulons vifs seulement vifs, alors qu’admettre être mort et vif à la fois oblige à reconnaître que nous pourrions être tout autant, et en tous cas avec le même degré de conscience, « seulement mort ». « Le néant aspire » lit-on. Je dis, moi, que rien n’aspire, et que le néant, idée complète de l’effroi du noir, n’existe que parce que seule sauverait une continuité de pensée. Or, physiquement, cette pensée unifiée est impossible – au moins parce qu’il nous faut dormir.

Le noir guette ce qui en chacun est intervalle, fissure ou passage pour la lame d’un aiguisé rasoir. Et le noir est une idée. Et le noir, comme la mort, sont notre crainte de perdre le fil. Le trio des Parques n’est pas loin…

Qu’on me comprenne pour ce que je tente, clair en tête et voix d’avant, de dire et de faire comprendre. Nous autres, librettistes, plagieurs, artistes ou suiveurs, participons à l’élaboration d’un mythe qui imprègne chacune de nos actions. La mort existe autant que se rêve la vie. Notre force de vivants – où tels imaginés – ne réside pas dans l’état de vie, mais dans la conscience qu’il est une idée.

Les vivants imaginent une vie aux morts, et sans doute les morts rêvent-ils la vie des vivants. Nous ne sommes, tous rassemblés, qu’un de ces intermittents rêves d’une mort qui se sait insomniaque.

Janvier 2010


Otto Ganz