Miserere - Les déshérités (Guillaume de Lacoste Lareymondie)

Dans la nuit des gens s’embrassent à en vider leur âme, mais peut-être n’en ont-ils déjà plus.

Des voitures brûlent comme des cierges dont aucun Dieu ne recevrait les fumées ni les cires qui pleurent. Il fait froid surtout.

Les étoiles déclinent dans leur valse troublée par les lumières sales de la ville endormie à moitié. Mais il n’y a plus d’étoiles derrière les brumes empestées du soir.

Des femmes attendent dans la nuit le passage incertain d’un ivrogne exalté à qui il resterait un peu d’argent. Mais personne jamais ne passe par ces rues abruties de silence et d’absurde désir.

Des enfants qui ont faim rodent en jouant avec des couteaux contre les arbres déchirés et les passants hagards. Mais perdre son sang a-t-il encore un sens quand il ne s’agit plus que de passer le temps ?

Les derniers trains fuient dans les gares inondées où de vagues clochards viennent dormir un peu — il fait moins froid là-bas. Des gens s’embrassent sans se voir pour se quitter demain, à l’aube morne, dans l’inconscience trouble du sommeil dont les yeux sont ouverts.

Il fait tellement froid dans cette obscurité malade que je me suis arrêté pour mourir enfin. Mes doigts gelés ne sentent déjà plus la plume qui m’échappe. Mais parfois je pense que c’est vivre alors que les passants s’écartent, parce que je suis mort.


Guillaume de Lacoste Lareymondie, En Déroute, 1993