Regard des étoiles (Jean Joubert)

à Jean Laugier, i.m.

I

Ce corps de glaise,
pesant, lié au sol,
tiré vers l’invincible nuit,

ce corps où l’esprit veille
comme l’oiseau, dans la charpente de ténèbre,
la cage d’os qu’un sang paisible éclaire,

en songe une musique le saisit,
l’allège et le dénoue de la terre charnelle.

l’aile promise, triomphale, déploie
ses plumes frémissantes.

Il se retourne
et la rosée l’aspire.

Les yeux fermés,
rêvons que dans le froid
s’élève librement notre corps de lumière.

II

Et le voici alors dissous dans la lumière,
dépossédé du sang
et du grand livre intime que feuillette
un vent de glace, éparpillant l’histoire.

Il n’y a plus ni songe ni mémoire
de la terre embrassée,
arbre et femme mêlés
d’amour et de douleur.

Et le jardin des mots
qui fleurissait jadis,
un âpre gel le brûle.

L’éternité bâille comme un désert
de sable pur, sans maître ni veilleur.

III

Désert,
renonce à ton désir en rêve d’une pluie

et d’une fleur alors qui ne fût fleur
mystique et couronnée
dans cette enceinte vierge du désert.

Que la pluie et la fleur ne soient plus que le songe
d’un jardin étranger
qu’irriguent l’eau et le sang de l’exil.

Seule beauté du roc :
sable, ciel et silence,
sans rien qui te détourne du regard des étoiles.


Jean Joubert, Hors Jeu, n° 53, septembre 2007