À mon festin de mendiante je convoque certain soir les chers morts. Les disparus au bord de la tombe dans l’adieu du cimetière, les oubliés des églises, les ardents aux urnes précieuses... Les couchés dans la fosse boueuse, je vois encore la corde rêche qui les coula tout au fond et je ne m’y suis pas pendue.
Je convoque cette danse ô si peu macabre de ceux dont la chair et l’œil anéantis me font mal et doux au cœur, à la mémoire.
Je pleure des litanies de souffrance, des prières, des béatitudes, des colères, des joies demeurées par delà les absents.
De mon festin j’appelle au souvenir ceux qui vont disparaître, les désolants jamais à court d’amour ; et si loin si loin de ce présent de vie, des pleurs, des séparations, le temps des imaginaires nous isole si fort... Crois-tu que la parole y changerait quelque chose ?
Toussaint de solitude, de dure pierre, je pense aux morts dont roulent les têtes évanouies, les disparus du présent, ceux dont je ne sais rien, partis de ce côté-ci de la table qui n’en finit jamais, ces absents desquels la mémoire se repaît à vide, mâchouillant de vieilles icônes plâtrées de clichés pourris.
Je serre fort les vacillants prêts à s’éteindre, jusqu’à boire leur souffle l’esprit tendu vers eux dans la folie de les étreindre plus loin que la glissade, la dérobée, la course invisible, la disjonction, le mauvais départ.
Je garde les vivants, les vifs, les aimants, les cœurs solides, les droits regards ; je voudrais veiller sur eux comme un témoin bienveillant de leurs choix, sans faire connaître ma présence et pourtant là proche et sûre contre l’abîme.
Mérédith Le Dez, Les Eaux noires, éditions Folle Avoine, 2008