Bouquets épanouis aux revers des vainqueurs
Feuillages de minuit, fleurs de l’heure dernière
Blanchissez, pâlissez et tombez en prière
L’enfant de mes soucis, mon petit Roi de cœur,
Dort en tenant au poing le hochet de ma peur.
Car c’est un faux dormeur, c’est un
mort qui s’engage,
Il est mort, je le sais, la chambre me
le dit,
À mes mains sans secrets, au vent tournant la
page,
Au silence nouveau qui tombe et le verdit,
Je sais
que par la mort enhardi, il voyage.
Libéré de l’enfance, il
n’entend plus ma voix
Sur les chemins polis par les
brises menues
Où ses pas font lever des échos qui
saluent.
De mon rêve il s’éloigne, allégé
de son poids,
Sans ombre qui le suivre et sans nom de mon
choix.
Il n’a rien emporté. Son nom à
la fenêtre
Reste dans la buée sur la vitre tracé
Aux couleurs que le jour impose à chaque lettre,
Son
ombre veille encore et prête à s’élancer
Attend contre le mur un geste de son maître.
Mais à jamais le geste a déserté
la main
Où se lisait l’enfance et la bonne
aventure,
Sa parole infidèle a fui sa signature
Et
sa forme soumise à l’ordre souverain
N’illustre
plus le jeu des cartes de demain.
Son regard évadé contemple les
couronnes
Des miracles promis aux fervents du hasard,
À
ma bouche son rire en un cri déraisonne
Et dresse,
dominant une île de brouillard,
Un temple dont déjà
se brisent les colonnes.
Construction du rire en plein ciel un oiseau
Et les oiseaux-lèvres échappés des
surprises
Survolent les cités que le rire improvise
Les
jardins dont la fleur est l’éclat le plus haut
Et
sombrent au silence où sombrent les châteaux.
Ainsi sont détruites les villes de nos
fêtes
Que le rire établit sur les paliers du
vent :
Le silence ennemi assaille nos conquêtes,
Le
buste à notre gloire en marge des courants
Dès
que se tait la voix s’effondre sur nos têtes.
Une fée, au passage, apprivoisant le sort,
Va-t-elle l’inviter et sur son cheval rose
Contre
sa robe ouverte, en son manteau morose
Qui traîne les
parfums de la chance à son bord,
L’emmener écouter
les musiques du Nord ?
Seigneurs des batailles épris de dames
lasses
Que vous guidez au long de l’Océan des
temps
Appelez-le pour moi par ce nom qui s’efface
Pour
moi mettez au creux de la main qu’il vous tend
Le sable
sans éveil des plages de l’espace.
Héros protégés par vos
majuscules d’or
Le verrez-vous passer à l’aube
dépolie
Cet enfant qui vivait en jouant de ma vie
Et
le mènerez-vous s’agenouiller alors
Près du
lit de la Lune où l’Éternité dort ?
Louise de Vilmorin