La mort de mon père
À peine refermé le tombeau, il a fallu remonter sur Paris, rassembler mes enfants, travailler.
Mon Dieu, pourquoi fis-tu descendre sur la terre tout ce brouillard et cette tristesse ? Mon père était un Juste. Combien de ceux qui l’avaient connu ne nous l’ont-ils pas dit ? Et qui saura décrire la secrète joie qui habitait ceux-là mêmes qui pleuraient ? Le bilan d’une vie, ça se pèse au bord des grands abîmes. Cette vie fut une vie donnée, voilà le vrai. Une vie parfaitement chrétienne, en somme. Et qu’est-ce qui fait que la beauté du christianisme ne se mesure que lorsque les paupières du chrétien se trouvent à jamais closes ?
Mes enfants, ne pleurez pas. Votre grand-père est mort en paix. Il a remis son âme à son Dieu, tranquillement, sans bruit, comme un ouvrier, labeur accompli, ôte sa salopette et s’en va à la maison par la grande nuit. Nul gémissement, nul remords, nulle tribulation : une mort lisse et pure comme un linge qu’on met pour les sacrements.
Mes filles, vous pouvez ajouter le nom de mon père aux litanies des saints. Sans hésiter. Il n’est pas une vie authentiquement chrétienne qui soit perdue. Il n’est un infime ruisseau qui n’aille à l’infini de la mer. Vous pouvez l’appeler par son nom dans l’intimité de votre prière. Vous le dirai-je ? Je vois son âme bouger dans votre regard. Vous êtes la chair de sa chair. Profitez-en… Dans l’économie de l’intercession il faut d’abord aller à ceux-là que nous avons aimés.
À ma table d’hôte, il y a ce soir deux grandes dames : la Peine est là. Mais la Joie n’est pas loin…
Xavier Grall, La Vie catholique, n° 1219, 18 décembre 1968
Hors Jeu, n° 44, juin 2004
Je tiens à remercier Françoise Graal qui m’a autorisé à choisir, afin de les reproduire dans ce n° de Hors Jeu, des textes de son époux. L’ensemble des chroniques adressées par Xavier Grall à La Vie catholique a été rassemblé par Mikaela Kerdraon dans Xavier Grall, au nom du père, An Here (2003).
Jean-Michel Fossey