Pourquoi m’avez-vous mis, ô
mon Dieu
En contradiction avec vous ?
JOB
Souvenez-vous de ma douleur
En
même temps que de ma révolte.
JÉRÉMIE
Êtes-vous là, mon Dieu ? Moi, votre
pauvre prêtre
Qu’un jour hors du bonheur votre voix
appela,
Me voici comme alors devant Vous, ô mon Maître.
Mais Vous que j’ai suivi, Seigneur, êtes-vous là
?
La peur m’a pris. Je doute et chacun me
rassure.
L’un me dit : cherche-Le dans son livre sacré.
L’autre me dit, attends. L’autre, par la censure,
Veut guérir mon esprit où l’orgueil est
entré.
Je lis, je me soumets, j’attends... Mais
dans la Somme
Où je cherche ma foi, je n’entends
aujourd’hui
Que le bruit des cerveaux mal accordés
de l’homme.
Ce n’est que lui qui parle et pas Vous,
rien que lui.
Ce que Vous avez fait, c’est lui qui le
raconte.
Ce que Vous avez dit, c’est lui qui le retient.
J’ai peur, ô Christ, j’ai peur d’un
terrible mécompte
Si de votre passage à faux il
se souvient.
J’ai peur des mots qui m’ont gardé
votre message,
Ces mots qui dans leur sens ont arrêté
ma foi,
Car tous ne sont sortis, le plus fou, le plus sage,
Que d’une créature aussi vaine que moi.
Ah ! qui donc entre tous, récits, dogmes,
symboles,
Est le verbe, le mot où Dieu se révélera
Que les siècles mouvants ont couvert de paroles ?
Tous affirment... mon Dieu, j’ai peur... êtes-vous
là?
Je tâche de les croire. Ô Christ,
est-ce ma faute
Si malgré moi je suis un homme d’ici-bas
Dont la raison sans cesse, à voix basse, à voix
haute,
Exige ce qu’hélas ! ils ne lui donnent pas
?
Si je l’entends toujours qui de feinte
m’accuse,
Qui se redresse en moi quand je suis à
genoux,
Et, quand mon cœur se donne au vôtre, se
refuse ?
Que faire, juste Dieu, que faire entre elle et Vous ?
Comment, dites-le moi, me débarrasser
d’elle ?
Si je ferme les yeux, elle voit dans la nuit.
Si j’étouffe sa voix en ma bouche fidèle,
Elle crie en mon cœur au silence réduit.
Envoyez-moi, Seigneur, un apôtre, un
prophète,
Pour la détruire et comme un docile
animal,
Je vous suivrai. Mais non ! C’est Vous qui l’avez
faite.
Avez-vous jamais fait quelque chose de mal ?
C’est votre créature à votre
gré conçue.
Se peut-il maintenant que pour être
d’accord
Avec Vous, ô mon Dieu, dont nous l’avons
reçue,
Il faille s’en défaire et la
poursuivre à mort ?
C’est Vous qui l’avez faite... Est-ce
Vous ? Ah ! Quel gouffre !
Où vais-je ? Où
fuyez-vous ? Je vous perds tout entier.
Et pourtant je vous
aime, et je lutte, et je souffre.
Ô Dieu qui n’êtes
pas comme si Vous étiez.
Et Vous m’êtes, pourtant, quand tout
en moi vous nie,
Plus réel que les os de mes os... et
pourtant
Et pourtant, à travers cette obscure agonie,
Vous êtes tout mêlé à mon cœur
palpitant.
Et c’est à Vous qu’en vain la
vérité m’arrache,
À Vous qui n’êtes
rien, ô mon Tout, qu’éperdu
De douleur et
d’effroi, comme un fou, je m’attache
Pour que Vous
me sauviez de Vous avoir perdu.
Sauvez-moi ! S’il ne faut pour m’échapper
du doute
Que marcher au hasard sans fin contre le vent,
Pour
arriver à Vous, Seigneur, je suis en route
Et ne
m’arrêterai qu’à vos pieds, pas avant.
Si jeûner aide à croire, ah ! qu’à
ce peu ne tienne,
Je jetterai mon pain loin de moi. Si souffrir
Use entre Vous et moi l’obstacle, qu’elle vienne,
La douleur, pour me tordre et pour me secourir.
Si soumettre mes pieds, mes mains, mes yeux, mes
lèvres,
Tout ce qui m’est soumis à
moi-même, à la loi
D’un maître sans
justice, abat comme une chèvre
L’esprit qui me
résiste et Vous résiste en moi,
Me voici ! Je serai la souche qu’on avive,
La lampe qu’on éteint, la source qu’on
tarit,
Tout ce que l’on voudra, tout, pourvu que Dieu
vive !
Mais rien ne sauve, rien, mon Sauveur qui périt.
Ah ! Vous, cœurs tout unis qui vous sentez
au large
Et sans angoisse au fond de vos credos étroits,
Savez-vous, quand un homme a sa raison à charge,
Savez-vous, mes petits, ce que pèse sa croix ?
Chères douces brebis du Bon Dieu, bonnes
femmes
Qui baissez la paupière et Le voyez dessous ;
Vieilles qui L’entendez quand se taisent vos âmes,
Comme un homme présent dans l’ombre autour de
vous.
Simples qui l’appelez pour un rien, humbles
filles
Qui causez avec Lui dans votre petit coin
Et qui
lui confiez vos secrets de famille
Selon l’émoi
qui passe et selon le besoin.
Vous qui le connaissez comme un parent ou comme
Un voisin qu’on rencontre et croise à chaque pas,
Appelez-Le ce soir au secours de cet homme
Qui seul dans
les ténèbres vides se débat.
Criez pour qu’Il le tire enfin hors
d’épouvante
Car en ce cœur soudain rempli de
cécité,
Dieu s’est éteint ainsi
qu’un cierge quand il vente,
Il est mort, mort, et, mort,
n’est pas ressuscité.
Et Dieu, c’était pour lui comme pour
vous, le vôtre,
Sa route, son désir, sa retraite,
son pain,
Le Maître lumineux dont il était
l’apôtre
Il est mort, et, Lui mort, de qui vivre
demain ?
Que faire de ce cœur d’un seul trésor
avide
Qui ne voyant ailleurs, que des biens superflus
À
jamais, pour offrir à son Dieu plus de vide,
Les a tous
rejetés, tous ! Et son Dieu n’est plus.
Ah ! Si pourtant Il est, si la pitié Le
gagne,
Tout ce qu’il faut lui dire, humbles, vous le
savez.
Si la foi peut d’un geste écarter la
montagne
Qui Le cache aux prudents, vous autres, vous l’avez.
Et c’est vous qui pourriez, cœurs dans
autre lumière,
S’il était un salut, me
sauver en commun
Puisque vous connaissez le chemin des prières,
Et qu’en haut de votre âme elles trouvent
quelqu’un,
Priez donc, ah ! priez ! Si Dieu n’est pas
un leurre,
Pour l’amour dont Il doit, mes petits, vous
chérir,
Il ne permettra pas sans doute que je meure
D’angoisse devant vous quand Il peut me guérir.
S’il n’est qu’une chimère...
ah : frère, priez vite
Avant que ma pensée en
suspens dans l’effroi
Ne bouge sur l’abîme et
ne m’y précipite,
Et si vous avez Dieu, mes
petits, sauvez-moi !
Ténèbres
Vous qui mourez en moi, mon Dieu qu’en vain
je somme
De me sauver, moi qui meurs de vous voir mourir,
Vous
êtes déjà mort à côté d’un
pauvre homme,
Sans Vous tirer d’affaire et sans le
secourir.
Il vous a vu cloué pour le dernier supplice
Comme un vaurien qu’enfin les braves gens ont pris
Comme
lui, le voleur, et comme son complice,
Sur un gibet pareil aux
deux leurs, vis-à-vis.
Il vous a vu pendu sans pouvoir vous défendre
Trois heures en plein jour sur cette vile croix.
Et vous
n’avez pas su mieux qu’un autre en descendre.
Vous
êtes mort dessus, mort le premier des trois.
Il l’a vu, le pauvre homme, ô faiseur
de miracles,
C’est sur vous qu’il comptait pour
sortir de la mort.
Mais vous n’avez pas su commander aux
obstacles
Ni rien changer de plus qu’un autre à
votre sort.
Ah ! Ah ! riaient les juifs heureux de vous
confondre
« Si tu nous as dit vrai, prophète,
sauve-toi ! »
Vous n’avez rien trouvé,
Seigneur, à leur répondre
Et personne à
cette heure en vous n’a plus eu foi.
Ah ! Vous ne pouvez plus à personne de sage
Faire accroire, abusant de sa crédulité,
Que
vous êtes un Dieu sur terre de passage
Et que vous
apportiez du ciel la Vérité.
Vous ne dites plus rien. Que dire de plausible
À
présent?... Mais voici que ce pauvre voleur
Quel silence
a parlé soudain à sa douleur ?
Qu’a-t-il vu
tout à coup, qu’a-t-il vu d’invisible ?
Le voilà qui vers vous se tourne. Vous
râlez,
Abandonné du ciel, ô suprême
déboire !
« Vous êtes mon Seigneur, dit-il,
ô Roi de gloire,
Pensez à moi dans le royaume où
vous allez ».
*
Mon Dieu, je meurs aussi. Mon Dieu, je suis à
l’heure
Où du ciel un éclair vous chasse,
où devant moi
Devant mon jugement qui vacille d’effroi,
Tout vous accuse, tout, de n’être rien qu’un
leurre.
Tournant autour de vous, mes pensées, ma
raison,
Comme autrefois autour des trois croix la canaille,
Hochant la tête : « Ah ! Ah! qui nous prouve qu’il
faille
Te croire sans risquer erreur ou trahison ?
Prouve-le nous d’abord, après, nous
croirons. Prouve. »
Mais, poussé jusqu’au
bout, Vous ne pouvez jamais
Mon Dieu, répondre au
dernier mot de ces mauvais
Dont aucun en cherchant tant qu’il
peut ne vous trouve.
Et je me tords les mains, et je voudrais qu’au
moins
Ô mon Dieu, par pitié, vous disiez quelque
chose
Qui les force à se taire ou que pour votre cause
Vous frappiez quelque coup dont je serais témoin.
Mais vous me laissez seul contre eux et ma prière
Qui pour vous joindre en vain avec la nuit combat
Comme
un oiseau qui dans sa cage se débat,
Partout se heurte
au mur et n’entend rien derrière.
Vous n’êtes nulle part. Tout m’est
vide !... Et pourtant,
Est-ce Vous qui poussez hors de moi cet
ardent,
Cet invincible cri qui m’ouvre les entrailles
Et
déchire la nuit, et franchit les murailles :
« Mon Christ ! Mon Dieu ! Pareil au voleur
sur la croix,
Contre toute évidence, ô Fils de
Dieu, je crois !
Contre toute espérance, ô Fils de
Dieu, j’espère !
Je te suis où tu vas.
Mène-moi chez ton Père. »
Marie Noël, février 1914