Vers et citations de Mathilde Delaporte

En Demi-teintes

Mathilde Delaporte, En Demi-teintes, Paris, Jouve, 1913

Le passé

Et notre ombre s’étend sur des chemins plus sombres
Pour s’allonger, jusqu’à rejoindre d’autres ombres

L’apprentissage

Le métier d’être heureux, Seigneur,
Il nous faut Ici-bas nous l’apprendre !

Fardeau de la joie

Comme un poids délicat qui n’est pas familier,
Nous portons le bonheur avec inquiétude

Le mal du pays

Là-Haut, quand nous serons au pays idéal,
N’aurons-nous point ta nostalgie, ô sol natal ?
Sans la mer, sans les pins, sans les rocs d’Armorique,
Pourrons-nous être heureux au paradis lointain ?

À la terre où je dormirai

Terre qui m’a portée, ô ma terre natale,
Dont j’ai tant parcouru les sentiers et les bois
...
Ma face aura fixé la tienne tant de fois
Qu’en m’y couchant la mort me sera moins brutale.

Antée

Puisque tu ne peux plus soutenir ton effort,
Ô lutteur renversé par le bras de la Vie,
Couche-toi sur le sol dont le lit te convie ;
Et là, comme un vaincu terrassé, fais le mort !

Mes deux âmes

J’ai deux âmes ! L’une fut faite
Dans les brumes du ciel breton,
Dans l’eau de la mer inquiète
Et dans son murmure profond.

....

Elle fut faite à l’heure brune
Où vient errer le regard bleu,
Le regard doux du clair de lune
Qui ne chasse l’ombre qu’un peu.

...

J’ai bien leur âme occidentale,
Âme de soir et de couchant
De la terre où le soleil pâle
Attarde son adieu touchant.

...

Mais mon autre âme, la première,
Habite le pays d’Armor
Et vit dans la douce lumière
Que le brouillard tamise encor.

Rondels de printemps

Je pense à ceux qui sont dessous
Quand il fait si bon sur la terre.
Comme un cristal par la lumière,
Les êtres sont traversés tous.

Dans les herbes jusqu’aux genoux,
L’humanité passe légère...
Je pense à ceux qui sont dessous
Quand il fait si bon sur la terre.

Madones de Botticelli

Notre jeunesse est sans jeunesse,
Et notre printemps n’est plus gai,
Car le vieux monde est fatigué

Source inconnue

Le coquillage (paru dans Le Gaulois, 9 août 1924)

Entends, entends en toi déferler l'infini.

Cité dans L'Ouest-Éclair, 17 décembre 1928

Ici-bas le Bonheur doit porter un visage.

La poésie de vivre

Mathilde Delaporte, La poésie de vivre, Jouve & Cie, Éditeur, Paris, 1920

L’eau qui baisse

Dans le cœur, le Plaisir, comme l’eau, s’évapore

Le Logis du bonheur

Le Bonheur nous déborde et nul ne le contient

Le plus beau des palais ne peut garder l’aurore

Les Minutes éternisées

À force de douceur, un moment de réel,
À force de beauté sentie, une minute
Se sont éternisés sur le cadran du ciel.

La Sonde

Et quand il veut savoir si notre âme est profonde, …
Dieu jette la Douleur en nous, comme une sonde.

L’Œuvre et le Nom

L’Oubli reprend le Nom : qu’est-ce que le Nom ? Rien !
Il ne définit pas notre âme, laide ou belle ;
Ses lettres, sans l’esprit, un hasard les emmêle,
Et ce n’est qu’on son vague ou vide qu’il contient.

Celui qui n’a perdu qu’un nom, n’a rien perdu.

Le Goût de la Mort

On dit que les Bretons ont le goût de la Mort,

Non ! Ce peuple est celui qui la hait le plus fort
Et s’il l’étreint, c’est plein d’une fureur sacrée ;
Quand, de son cimetière, il obsède l’entrée,
C’est pour en arracher un peu de vie encor.

La Glèbe humaine

Mathilde Delaporte, La Glèbe humaine, Albert Messein, éditeur, Paris, 1928

Inspiration

       Tes mots, je ne les entends pas ;
(Les bois entendent-ils ce que leur dit la brise ?)
       Mais je sens que je t’ai comprise
       Quoique tu me parles si bas.

       Voici qu’un souffle me secoue,
(L’arbre se courbe entier sous l’invisible vent)
       Et je deviens un bois vivant
       Où ton souffle caché se joue.

Par les fentes

Ainsi ton âme en vain se mure au sombre enclos

Va ! Ferme tes volets, garde ton âme obscure ;
La Joie y trouvera toujours quelque rainure,
Car inlassablement la clarté te poursuit.

Vieillir c’est changer

Le Temps qui fait mourir ne peut vieillir les hommes.

Le coquillage

Jeté par une vague au sable du rivage,
À l’heure du reflux quelqu’un l’a découvert,

Mais l’oreille posée au coquillage clair…
Entend gronder, en lui, tout l’Océan sauvage.

Entends, entends en toi déferler l’infini.

La coupe du bonheur

Chacun veut du Bonheur, chacun veut être heureux

Ils n’avaient apporté qu’un verre trop étroit

Leur cœur, pour le Bonheur, n’est pas assez profond.

Lune d’Armorique

Du mince promontoire où la Terre finit,
Le sol devient obscur, il s’efface, il brunit

On n’entend plus les flots battre sur les brisants ;
Ils ont baissé la voix dans l’émouvant silence ;
Rien ne veut plus troubler la rêverie intense ; …
La Paix, la grande Paix caresse les brisants.

Restons !… La Nuit devient couleur de scabieuse
Ou prend les tons fanés d’un azur très ancien ;
Tout est bleuâtre, et doux, et comme élyséen ;
Nulle teinte n’est vive et nulle ténébreuse.

Ce tremblement d’amour n’est pas extérieur.

Et le Présent recule, et le Temps n’a plus d’âge.

Le besoin d’être triste

Quelque chose en mon âme insiste
Et veut se faire jour en moi ;
Aujourd’hui, je ne sais pourquoi
Je sens le besoin d’être triste.

Quitter

Dénouer ce nœud chose à chose
Dont chacune s’accroche à nous

Quitter la maison chambre à chambre ;
Quand la porte crie au seuil bas,
Sa plainte ne l’écouter pas ;
S’en aller d’elle pas à pas,
Et s’en arracher membre à membre.

Et ces bêtes qu’on abandonne,
Qui sentent qu’on veut s’en aller,

Et ceux qu’on aime ! Et ceux qu’on aime !…
C’est là le pire des adieux,
Détacher ses yeux de leurs yeux,
S’ôter des bras affectueux,
Ah ! C’est s’arracher à soi-même.

Messe basse

Il ne vient là que peu de gens,
Des gens de peu qui, de bonne heure,
Pour peiner quittent leur demeure.

Les deux sources

− Toi dont la lèvre a soif, viens, car je désaltère.
Sous l’herbe et les joncs bleus qui croisent leur treillis,
Incessamment du trou plein d’ombre je jaillis ;
Je suis l’affleurement des fraîcheurs de la terre !

− Et moi, je donne à l’âme une soif salutaire,
Toi qui vis sans désir, sans frisson qui vieillis,
D’aucune noble ardeur qui ne t’enorgueillis,
Viens ! Car c’est toi surtout qu’appelle mon mystère.

Vieillir

Il faut de la force à la haine,
Il n’en faut pas pour être bon.

Vieillir, c’est être ce qui dure.

Revenir

Nul départ ne vaut le retour.


Poèmes de Mathilde Delaporte