Cuisse où j'ay long temps prétendu,
Plus ferme qu'ung fort arc tendu,
Cuisse plus dure que le marbre
Le soubstien et le gros de l'arbre,
Cuisse sans qu'a, cuisse sans si,
Qui porte fleur et fruict aussi.
Cuisse qui soustiens la pelotte
Je n'oseroys dire la motte
Qui par nature est décorée
D'autre toyson que la dorée,
Ce n'est or, velours, ne satin,
Mais d'ung petit poil argentin
Plus delyé que fine soye.
Cuisse mon bien, cuisse ma joye !
Cuisse qui sert de boullevert
Au pertuis si tres peu couvert,
Qu'on n'y pourroit avoir choisi
Qu'ung bort de satin cramoysi.
Cuisse parfaictement taillée,
D'un fin esmail blanc esmaillée.
Cuisse qui n'a ride, ne fronce,
Mais bien convoyteuse semonce,
Qui vient saisir le poursuivant
De mettre la main plus avant.
Cuisse qui as la chaleur telle
Qu'a y toucher chose est mortelle,
Mortelle, qui jusqu'à mort dure,
Cuisse plus forte et trop plus dure
Que l'aymant qui le fer attire
Car tu traitz, et l'on ne retire
Sa main de toy sans maladie.
D'y penser, cuisse rebondie,
Cuisse refaicte et bien planiere,
Cuisse qui n'est point heronniere,
Cuisse friande, et cuisse ronde,
Cuisse la plus belle du monde,
Cuisse qui faitz l'œil esmouvoir,
Cuisse qui faitz tetin mouvoir,
Cuisse qui faitz parler la bouche,
Ung temps avant que l'on te touche,
Cuisse qui faitz la main servir,
Cuisse qui te faitz poursuyvir.
Cuisse qui tout le corps supporte,
Cuisse qui garde, et tient la porte
Au fort chasteau de jouyssance.
Cuisse qui as bien la puissance
De faire tendre et desbander
Et incontinent rebander,
Cuisse qui faitz faict et deffaict,
Cuisse sans qui nul bien n'est faict.
Cuisse de qui le souvenir
Me faict souvent le goust venir
Mille ennuitz et mille plaisirs ;
Pour cent esbas, cent desplaisirs.
Cuisse en beaulté la plus feconde,
Cuisse qui n'a point de seconde,
Cuisse de belle creature,
Cuisse chef d'œuvre de nature.
Le Lieur, extrait des Blasons anatomiques du corps féminin (1536)