Soif de la terre (Mathilde Delaporte)

C’est l’été, l’été chaud, et c’est l’heure accablée ;
Les blés s’inclinent, lourds du grain au soleil cuit ;
À force de rayons la terre est aveuglée ;
L’ardent Midi s’endort, morne comme un minuit.

Là-bas, là-bas, la Mer vient, déroulant la queue
De sa vivante et sa mouvante robe bleue.

Il est Midi ; l’air est trop lourd, le bruit du vent,
Ce bruit si frais s’est tu. Aucune mélodie
Ne monte vers l’azur là-haut. Nul son vivant
Ne berce la stupeur de la terre engourdie.

De son grand orgue ému, là-bas, là-bas, la Mer
Emplit l’espace avec son infini concert !

La terre a soif, mais nulle bienfaisante pluie
Ne viendra de longtemps emplir sa gorge en feu.
La terre a soif, de ses sources l’eau s’est enfuie ;
Il est Midi, l’air est trop lourd, le ciel trop bleu.

Là-bas, là-bas, la Mer sur la grève gazouille
Et rafraîchit la bouche avec son bruit qui mouille !

Ô Terre, cependant ne la jalouse pas.
Jamais elle ne dort. C’est la grande inquiète
Qui toujours veille et marche et rôde pas à pas.
Dans sa course sans fin jamais rien ne l’arrête.

Là-bas, là-bas, la Mer aux flots toujours errants
Voudrait goûter un jour le repos que tu prends.

Ne la jalouse pas. Son grand orgue a des plaintes
Qui te déchireraient l’âme avec leurs longs cris.
Ses lamentations jamais ne sont éteintes ;
Et, dans sa voix, roulent des pleurs jamais taris.

Elle t’envie, ô Terre, et dans l’espace immense
Voudrait avoir un jour ton apaisant silence.

Va, ne jalouse pas la fraîcheur de son flot !
De tes sources attends que jaillisse l’eau claire ;
Des vagues de la Mer on boirait toute l’eau
Qu’on aurait soif encor, parce qu’elle est amère.

Ne la jalouse pas, cette mer qui voudrait
Être la goutte d’eau qui désaltérerait !


Mathilde Delaporte, En Demi-teintes, 1913