Nul ne saura jamais quel drame obscur se joue,
— Rideau baissé, lumière éteinte, — sous le front
Si pâle, auprès du frêle incarnat de la joue,
Du phtisique à la mort voué pour un jour prompt...
Comment douter, après tel alarmant symptôme,
Au livre qu'il consulte en secret reconnu ?
Il a peur du miroir où tremble son fantôme,
Et souffre à voir bleuir son mince poignet nu...
De ceux qui lui sont chers, pourtant, le zèle évite
D'augmenter ses regrets hâtifs, fût-ce à raison :
Qu'il soit prudent et sage, il se remettra vite...
Et l'on fait des projets touchant sa guérison.
Il sourit et consent. L'habituel mensonge
Prête un peu d'assurance à sa mère, à sa sœur,
Et lui-même, oubliant qu'un mal certain le ronge,
À se rêver guéri trouve quelque douceur...
Mais quand, seul, il descend au fond de sa pensée,
La terrible évidence éclatant sans effort,
Comme il roule, envahi d'une angoisse insensée,
Du désir de la vie à l'effroi de la mort !...
*
Parfois, voyant ses yeux se fermer de faiblesse
Au jour dont l'or fluide inonde le jardin,
La garde qui veillait sur son repos le laisse...
Mais son regard trop vif s'aventure soudain :
Il s'intéresse au jeu fugitif des nuées,
Si pauvre, il tend ses mains exsangues au soleil !
Use berce au bruit frais des feuilles remuées,
Sans vouloir s'assoupir, car il n'a plus sommeil.
Sur le toit, des pigeons lustrent leur gorge tendre ;
Deux papillons jumeaux s'épousent en plein ciel !
Et les fleurs des massifs, comme lasses d'attendre
Les frelons indolents, répandent tout leur miel.
La rumeur du village et son odeur diverse
Du jardin complaisant escaladent les murs ;
On suit l'essor d'un chant qu'un rire clair traverse :
Le vent sent le pain chaud, le lavoir, les fruits mûrs...
Le malade attentif tressaille, offre sa bouche
Au baiser de la vie, au souffle de l'été...
Il se rive à la terre en un élan farouche,
Emplit d'air sa poitrine et ses yeux de clarté !
Ah ! se lever !... Éteindre ou nourrir cette flamme
Dont la stérile odeur s'use à le consumer !
Goûter l'amour, et non la pitié de la femme :
Il doit faire si bon pour vivre et pour aimer !
Peut-on croire à la mort quand l'heure est aussi douce ?
Il cherche, ouvrant les bras, l'étreinte qui défend...
Et sentant que la vie en riant le repousse,
Il pleure, il se débat, se plaint comme un enfant !...
*
La nuit... Brûlant de fièvre, énervé d'insomnie,
Il tourmente les draps sous ses doigts incertains...
Oh ! Ce geste instinctif que font, dans l'agonie,
Les mains froides portant secours aux yeux éteints !
Il s'allonge, ses bras croisés pressant son buste ;
Voilà qu'il se compose et d'avance prend seul
Cet impassible aspect qu'au lit du cercueil juste
Accuseront les plis rigides du linceul !...
Il frémit d'épouvante... il touche à la folie !
Ah ! la mort ! Tant qu'elle est lointaine à l'horizon,
Le sceptique la raille et le lâche l'oublie...
Mais quand son ombre rôde autour de la maison !
Son corps défaille, en proie à la terreur physique ;
Mourir... sentir monter, d'un cours sûr et normal,
Ce flot noir d' asphyxie où lutte le phtisique :
Mourir ainsi... Cela doit faire tant de mal !
Il songe au lent travail que subit la matière :
Ces doigts qu'il meut, ce front qui fut peut-être beau,
Peut-être aimé, baisé ! Cette chair tout entière
Connaîtra la secrète offense du tombeau !
Et son âme ? Depuis qu'il languit, plus malade,
Un prêtre le visite, et l'exhorte souvent
A contempler la mort comme la grande rade
Où s'arrête l'assaut de l'orage et du vent.
Il se rappelle alors son enfance, fleurie
D'actes de foi, d'élans d'amour pleins de candeur !
Roses des Fêtes-Dieu, lis des mois de Marie
Retrouvent un instant leur charme et leur odeur...
Sa mémoire a gardé le secret des formules ;
Mais il n'a plus la foi : les mots qu'il dit sont vains !
Mais il n'a plus l'amour : les prières sont nulles...
À quel titre implorer secours ? À quelles fins ?...
Ce qu'il voulait, c'était du temps, c'était la vie !
Et non ce ciel lointain, inaccessible et froid,
Dont l'éternel bonheur le laisse sans envie,
Où le Dieu qui l'attend lui cause un vague effroi...
Et ce Dieu-là désire et commande qu'on l'aime,
Quand il met son pouvoir à faire autant souffrir ?...
— Et c'est dans un sanglot, sinon dans un blasphème,
Que s'achève l'effort de son cœur pour s'ouvrir.
Rien... la terre lui manque, il voudrait le ciel vide !
La maison dort, soumise à la nuit sans reflets ;
Et lui, seul éveillé, le front moite et livide,
Guette une lueur d'aube aux fentes des volets !
Tandis que le matin lui portera sa trêve,
La vie autour de lui ressaisira ses droits ;
Il peut mourir : qu'importe un destin qui s'achève,
Au fleuve humain, grondant entre ses bords étroits ?...
Et, redoutant le jour dont l'ardeur le pénètre,
Souffrant de l'abandon symbolique du soir,
Il sentira, vivant, commencer dans son être
L'agonie et la mort lentes du désespoir.
Amélie Murat, D'un cœur fervent, 1909
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