Midi. Le vent dans les tilleuls brasse si violemment depuis l’aube le duvet des montagnes et l’orage évadé de nos gorges et les aromates délirants de l’amour.
Tu marches là-bas dans les sillons des vignes, tête penchée. Un incendie sans trêve te lèche, tresse et tord ta jupe d’indienne, claque dans ton corsage sous les cheveux déployés.
Un incendie te dénude. C’est en plein midi l’haleine dure de la nuit comme six museaux de chiens à tes chevilles et leurs abois entre les sarments rebroussés.
Ici la houle rageuse depuis l’aube donne l’assaut dans le feuillage où sèche la lessive de nos villes intimes un an de plus parcourues. Mais toute la terre autour est un désir qui dure et quel ressac de galets pourrait l’abattre ?
Tu marches sur ces terres en travail, tirant à toi tout le chahut du ciel avec des franges d’horizon. Où tu passes, à l’instant le jour entier s’engouffre avec le grondement des fortes eaux dans les grottes marines.
Les chaluts remontés du tumulte ramènent dans tes bras, parmi la nacre affolée des poissons, des épaves salées, des noyés bleus, des lames demi-rouillées et leur manche est gravé de mots incertains.
Sur la terrasse, les tilleuls sont une poudrière d’oiseaux secoués, piaillant comme pris de vin, si fort que tes dits d’amour à voix basse, mis en mémoire avec une bague à leurs pattes, font dans le vent de tempête un fracas de salve sur les murs.
Et toi, tu vas flattant de la main l’échine des vignes, comme pour apprivoiser les bêtes qui t’habitent. Partout crépitent les torches de l’air. Et toi, tu tisonnes des soleils débraillés, tu traverses des brasiers de caresses jusqu’à douleur éclatante.
Tout ce sang, tous ces mots qu’avec le vent tu mets de force dans mes veines, quand il faudra les boire, les racines des tilleuls ni la terre suffocante de tes vignes n’y suffiront.
Philippe Longchamp, Hors Jeu, n° 17/18, mars 1995