La nuit du labyrinthe (Marc Alyn)

I

Inextricable lacis de couloirs pareils aux veines
Où circule le sang sombre du taureau, escaliers
Aux degrés plus tranchants que le glaive, silos, cellules
Dont les parois enserrent le même espace (il connaît,
Aveugle, sur le bout des doigts chaque angle de la pierre
De crête aux arêtes vives que Dédale voulut
De taille monotone pour mieux désoler les paumes),
Fausses portes murées, issues en trompe-l’œil où luit
Une inverse clarté à la cornée cruelle, monstre
D’architecture où divague la morne créature
Née de la Bête et de la Femme – enfer de l’infini
inventé, Labyrinthe, il t’arrive en toi de te perdre.

II

Au creux du silence, l’absence et les mots mûrissants,
La nuit sapide dont la pulpe recèle le clair,
Les galeries superposées du verbe et de la chair,
La mémoire, trait sur trait, pressant le suc des secrets :
Partout affleure le fond halluciné qui fermente.

III

Il s’agissait de mettre à l’œuvre l’espace
D’en faire cette plaie
Infernale
(ouverte et close sur le vide)
Où la vague étendue violée par le Plan
Fut enfin forcée de subir
Le puits et la spire
Le boyau, la pente et la herse.

Il s’agissait de transmuer en Noir
Ce bleu fade de l’air,
Le réduire à l’aveu de ses limites
Par la rigueur absurde des filières,
L’étirer, le sommer d’être
L’envers de ce qu’il semblait.

IV

Peut-être, dit le scribe, n’est-il qu’un mot mal fixé
Dans le labyrinthe d’une phrase immense,
Bouleversant le sens du livre
Par son errance
Entre les lignes ?
Comme ces vers minuscules
Qui émergent parfois des profondeurs de la page
Dévorant l’esprit avec la fibre.
Je l’imagine ainsi : mot parasite condamné
À subsister dans la marge
En dépit d’un carnage de syllabes.

V

Dans le commencement, je n’étais qu’arabesque,
Masque de foudre, scarabée, parole ou fresque,
Tendre aura du réel sur l’écran du ciel projetée.
Contraint de reconnaître après coup mes visages,
J’inocule au passé les poisons du présent ;
Minotaure ou mystère, Nuit vivante ou nuit niée,
Je reste la question devant l’homme béante
Comme l’insatiable tombe au bout du temps.

VI

De la pente naît une pente
Semblable et qui (déjà) invente
La suivante.

Sans jamais se couper les lignes prolifèrent
Obéissant au Plan
Comme à l’attraction les planètes.

La même galerie
Se prolonge, s’allonge, se répète
Entraînée par le poids d’un centre si mobile
Qu’on le dirait rêvé.

VII

Je jette dans la mer ce livre où son nom est écrit
Sur chaque page, en toutes langues connues. Qu’il aborde
Aux confins du sel ou soit la proie des poissons aveugles,
Qu’il suscite ailleurs le héros qui nous délivrera
Ou que seule la flamme en déchiffre les lettres,
Peut-être un peu de lui, par l’esprit, périra.


Marc Alyn, Hors Jeu, n° 33, février 2001