La mort du lion (Paul Claudel)

C’est lui qu’elle attendait, la mer illuminée !
C’est lui, le fiancé, qu’elle appelait tout bas !
Elle est à l’horizon l’épouse devinée.
Elle applaudit d’un flot à chacun de ses pas.

Le moment est venu de notre hymen immense !
Ce qu’on m’avait promis, je viens de le trouver !
Si c’est moi qui finis, c’est l’autre qui commence !
Ce que l’on m’a ouvert, je ne puis l’épuiser !

On va entrer dedans, l’espace et le silence !
On les a bien lâchés, l’auberge et le tripot !
Que pouvais-je chercher, avec cette violence,
Que pouvais-je trouver, excepté le repos !

C’est fini pour toujours, la Saône dévorée !
Avalés, tous ces ponts et ces villes dormantes !
Taris, le soir maussade et l’aurore dorée !
Englouti, l’affluent de toutes ses amantes !

C’est fini pour toujours de la route et la roue !
Ma rive a disparu, le monde s’est ouvert !
Plein d'ennui, de désir, de colère et de boue,
Le Rhône en rugissant se jette dans la mer !


Paul Claudel, Brangues, 2 août 1936