Léda dans son premier sommeil (Paul Éluard)

Je dormais couchée sur le ventre
J’avais conscience de mon ventre

Le ciel pesant coulait en moi
Par mille graines de blé vif

Par mille oiseaux exténués
Et qui se cachent pour mourir.

*

Le bruit l’odeur le feu venait fermer leurs ailes
Dans ma gorge écrasée dans le puits de mes mains

Le feu le froid l’azur rassemblaient mes épaules
La verdure tremblait dans mon sang prisonnier

J’étouffais de soleil j’étais noyée d’air pur
L’abus du cœur et de la chair m’anéantit.

*

Bientôt je limitai le ciel je me fermai
Profonde je souffris de la boue et des pierres

Tout encombrée de mes racines infinies
Je retrouvai le dur labeur de mon passé

Ma cécité mon ignorance de l’espace
L’inavouable progrès des murs multipliés.

*

Mes beaux yeux séparés du monde
Où sont les morts suis-je vivante

Je voudrais répéter le monde
Et non plus être ombre d’une ombre

Mes beaux yeux rendez-moi visible
Je ne veux pas finir en moi.


Paul Éluard, Léda, 1949