Au matin, je la croyais morte. La voici, plus belle que le jour. Elle avance comme une canonnière. Comme un vaisseau à l’abordage. Je suis le flot qu’elle pourfend. Elle m’envahit, elle me pénètre.
Me saborder pour lui échapper ? Mais non. C’est elle qui fait naufrage. Et je la sauve. Et je la retiens. Et je l’étends sur le sable. Et je la berce. Et je la bénis.
— Ophélie, donne-moi, donne-moi des enfants blonds comme toi.
Ils ont vidé la fontaine. Ils ont lâché les perruches. Ils ont saccagé les iris, traîné les petits chats dans la souille. L’inondation et l’incendie font partie de leurs jeux. Ils nous réveillent la nuit. Et pourtant, Ophélie, fais-moi des enfants beaux comme toi.
Je ne partirai plus. Même à la chasse. Je vendrai les faucons, le tiercelet, les chiens. Mes piqueurs s’enfonceront dans le bois, mes sonneurs. Nous ne les entendrons plus.
Anne Fontaine, Ophélie ou les intermittences du cœur, Éditions de l’Aire, 1984