Blues pour l’enfance perdue (Claude Cailleau)

La nuit a tout enseveli sur la route vidée de pas
Nul ne marche dans ma mémoire Pourquoi l’interroger encore
Ce miroir où s’est englouti l’enfant fragile du passé

Les arbres entrent dans le ciel où le vent déchire un nuage
Je marche et reviennent vers moi les jours que je croyais perdus
C’était lointaine une ombre que j’avais aimée à en mourir

On parle à mots couverts quand je me penche vers ces vieux visages
J’entends le bruit confus des voix qui me berçaient enfant C’était
un temps de peur et de tendresse l’amour dans l’ombre de la guerre

Je suis passé devant le fleuve et son eau trouble à s’y jeter
Le ciel nocturne s’y noyait des pas perdus traversaient l’ombre
(Rue des Jumeaux un dépotoir On y jouait gamins le soir)

Et la peur vient battue de vent comme autrefois lorsque l’oiseau
hululait près du vieux château et que la mort rôdait aux vitres
L’enfant nu dans le trop grand lit tombait sans fin dans les ténèbres

Gamin des rues c’était à l’aube On ne remonte pas le temps
Tu as beau fouiller ta mémoire tu ne retrouves pas l’enfant
Ce n’est qu’une photo de rêve volée à ton passé aveugle

Qui te rendra ces jours d’été où tu vivais dehors pieds nus
dans la poussière des chemins frêle menu protégé par
de vieilles gens qui promenaient leurs mains de sel sur ton visage

Saisons d’une enfance perdue jours de soleil au cœur des pluies
pour le petit mendiant d’amour saisons d’une vie qui a fui
noyée dans le fleuve du temps Qui nous rendra l’enfant de l’aube

Claude Cailleau (Cocktail de vie, Éditinter)


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