Nuit de juin (André Gide)

Athman, je songe à toi ; Biskra, je songe à tes palmiers. – Touggourt, à tes sables… – Le vent aride du désert agite-t-il encore là-bas, oasis, vos palmes bruissantes ? De chaleur, grenades éclatées, laissez-vous choir vos grains acerbes ? –

Chetma, je me souviens de tes courants d’eaux fraîches, et de ta source chaude près de laquelle on transpirait. – El Kantara, pont d’or, je me souviens de tes matins sonores et de tes soirs extasiés. – Zaghouan, je revois tes figuiers et tes lauriers-roses ; Kairouan, tes nopals ; Sousse, tes oliviers. – Je rêve à ta désolation, Oumach, ville effondrée, murs entourés de marécages – et à la tienne, morne Droh, hanté des aigles, village atroce, ravin rauque.

Chegga la haute, contemples-tu toujours le désert ? – M’rayer, trempes-tu tes grêles tamaris dans le chott ? – Mégarine, t’abreuves-tu bien d’eau salée ? – Témassine, flétris-tu toujours au soleil ?

Je me souviens, auprès de l’Enfida, d’un stérile rocher, d’où coulait au printemps du miel ; auprès était un puits, où des femmes très belles venaient puiser l’eau, presque nues.

Es-tu toujours là-bas, et maintenant au clair de lune, petite maison d’Athman, toujours à demi ruinée ? – où ta mère tissait, où ta sœur, la femme d’Amhour, chantait ou contait des histoires ; où la nichée de tourterelles jubilait tout bas dans la nuit – près de l’eau grise et somnolente. –

Ô désir ! que de nuits je n’ai pu dormir, tant je me penchais sur un rêve qui me remplaçait le sommeil ! Oh ! s’il est des brumes au soir, des sons de flûte sous les palmes, de blancs vêtements dans les profondeurs des sentiers, de l’ombre douce auprès de l’ardente lumière… j’irai !…

– Petite lampe de terre et d’huile ! le vent de la nuit tourmente ta flamme ; – fenêtre disparue ; simple embrasure de ciel ; nuit calme sur les toits ; la lune.

On entend, dans le fond des rues délivrées, parfois un omnibus rouler, une voiture ; et tout au loin, quittant la ville, les trains siffler, les trains fuir – la grande ville attendre le réveil…

Ombre du balcon sur le plancher de la chambre, vacillement de la flamme sur la page blanche du livre. Respiration.

– La lune est à présent cachée ; le jardin devant moi semble un bassin de verdure… Sanglot ; lèvres serrées ; convictions trop grandes ; angoisses de la pensée. Que dirai-je ? choses véritables. – AUTRUI – importance de sa vie ; lui parler…


André Gide, Les nourritures terrestres, 1897