Troisième poème (Pierre Oster)

Hampes de l’hallali qui me chassez du soir
Je fuis mais j’entraîne en flanc-garde
Sous le regard des flaques
Une rafale radieuse d’hirondelles !

(Émondes et matins !
Nébuleuses ! Lilas.
Tempêtes dépêchées sur mes pas !)

I

Au creux de mon épaule une femme a peut-être abandonné le blé d’un été de tempête.

Au creux de mon épaule l’éclat d’une tempête,

La nuit pure et l’éclat d’une pure tempête ont peut-être crié que je ne vivais point.

Le secret que je fonde ne me répondra rien.

... Il est tard dans le jour. Une voix périlleuse
Laisse monter des mots vers les andains en feu.
Noir l’espace sévère enchantement des dieux
Inondé de forêts l’âge frangé d’écume
Redit d’une haleinée l’ode de la lumière
Douce qui se défie du jour mystérieux...

Et c’est la nuit du fleuve qui n’a plus de nom.

L’effritement, la mort des saisons et des plaines.

La folie de la plaine foulant dans le ciel fin
Le ravin monotone où croissaient les matins.

*

(Mes yeux m’ont demandé, j’ai demandé aux pierres
Quelle force nous lie à l’effroi des rivières.
La mer m’a répondu d’un seul chant de rivière,
Un inonde amoncelé m’a parcouru soudain...)

II

Le temps au dos comme un enfant je m’enfuis en riant pour fatiguer mon ombre.
Ombre d’enfant rire du temps je ne fatigue pas mon ombre.
Le temps au dos comme un enfant je ne suis plus
Vêtu que de blanc je vais nu.
Je ne déchiffre plus l’exergue solitaire de la vergue têtue...

(Je cherche l’ombre qui me garde ; ses fourrés étincelants.
Le temps qui luit comme un peu d’ombre. À la retombée le printemps.)

III

Quelqu’un marche là-bas. Je vois marcher quelqu’un.
Quelqu’un marche là-bas sur sa fauchée, quelqu’un
Quelqu’un, quelqu’un là-bas !

(Ô prévisible jour où le jour se déverse,
Tempête incestueuse qui gronde entre mes bras !)

Ô mots de ma voix lourde de possibles psaumes
(Adieu amour)
Ô mots vous chantez tous dans ce cri qui s’en va.

Adieu amour vous pouviez être ma sagesse.

*

Le vent fertile messager le vent et sa fraîcheur de gave
Les sept couleurs crucifiées la pluie tendue comme une jarre
Taillent des portulans de ponce, tissent des mers dans la clarté
De cet amour que mon amour a refusé.


Pierre Oster, Le champ de mai, Gallimard, 1955