Suite 1 (Pierre Oster)

Quis in igne positus
Igne non uratur ?

L’Archipoète

I

Aux plus hautes collines.

Aux plus hautes collines,
Un cheval, et la mer !

Ah ! le taillis est sourd,
Où j’ai blotti la plaine !

Qui oserait crier ?

*

La nymphée vide.

Aboi du roc.

Ô mon regard !

Angoisse blanche.
Aucun soleil.

Images blanches...
Ô blanc soleil !

Mais quel sabot
A renversé
L’Éternité
De mon côté ?

*

Pierres dans le soleil !

Rafale de soleils !

(Ô paresse des monts,
Une vallée expire
Au gué de mon haleine !)

II

Quelle justice meurt aux joncs
Ces joncs reculent quel Érèbe
Arbre qui brûle avec les joncs
Quelle justice jouvencelle ?

III

Dans l’arène d’un cri
Le jour baisse le mufle
Dans l’arène d’un cri
Il naît à sa couleur.

IV

Ô jour qui te ris
Je te connais nu :
Je t’entends souffrir
Du haut du matin.

(Qui pille ses rives ?)

Silence de tout.
Ah ! tout revivra.
Le vent de justice
Redescend en croupe.

(Ô rives pillées !)

Jusant, cavalier,
Pique sur la lune
Et reviens-nous en
Tout éternité.

*

Où est le vent
Où est l’épine ?

(Haute tempête,
Détourne-moi!)

V

Chiffré. Comme de pierre.
Épris de mes raisons.

Chiffré. Te dédaignant,
Souffle vide des lances.

Chiffré. Comme de givre,
Ô glabelle givrée !

*

Été désenvergué
Que me recouvres-tu
Sur le pont de l’hiver
Je ne me souviens pas.

*

Ne redis point le ciel
Le vent ni les oiseaux
L’eau est noire d’hommages
L’espace est souverain.

*

Bâtir en un regard
Ton sépulcre Soleil
Te déchirer de face
Ô temps battu de temps.

*

Quelles cohortes foulent
Le délai lumineux
Du monde ? Volis Septembre
Vous Mars tissez vos tentes.

VI

Le ciel respire
Et se défait
De son image

Son chant dessine
Frète des îles
À perdre vent.

Est-ce mourir
Que de peser
Comme une grappe

Quand tu n’es plus

Sous les moissines

Ô Nuit enfant !

*

L’eau de midi
Porte le jour
Et le séduit.

(Lumière tu souffres
La lumière fuit !)

Balafres d’écume
Rires de la mer
Qui vous lavera ?

Poternes noyées
Bavent les pendus.

*

Et je compte mes doigts.
Je m’initie : au Monde.
Il grandit et je pleus,
Je neige sur la nuit !

*

(Nuit fêtée comme une plaine.

Buis de toutes les buissaies.)

VII

Une flaque obscurcit
La marelle du ciel
Un visage bondit

Un visage bondit

S’ouvre sous mon visage

Déchire mes racines

Et me nomme Ravin.

VIII

Je ne regarde pas je ne dis presque rien.

Terre tu es creusée auprès d’une fontaine.

Et si la nuit affleure.

Si le cerf se résigne.

Perlure de ses bois dans l’absence des feuilles.

*

La rose brille !

Bel estuaire,
Ouvre et laboure !

La rose est comme une eau qui disparaîtrait.
La rose a la fraîcheur de l’eau qui disparaît.

*

C’est la raison qui rêve
Raison ah rêve-moi.
Terre d’où je m’endors.
Mystère voyageur...

IX

Mais le jour se soulève.
Et son nouveau visage
Est la nouvelle image

De mon nouvel amour.

Et le mascaret gonfle.

Faire une seule feuille
De tous les champs du monde.

X

Une rose étouffée.
Une tempête instruite.

(L’espace braconné.)


Pierre Oster, Le champ de mai, Gallimard, 1955