Élégie (Jean Grosjean)

À quoi veilles-tu debout dans le brouillard avec les noirs bataillons de sapins sans distinguer la terre du ciel ?

L’obscurité du jour est si pesante que la nuit seule y porterait remède, n’était le long regard indéchiffrable dont tu contiens nos ennemis.

Laisse aux haies leur buée d’églantines et l’ombre aux nues, mais garde-moi tes doutes ou prends les miens.

Arrache-moi de ma vie et des morts dans un blafard essor d’ailes plumeuses et que je sois en proie à tes hauteurs.

J’entends crier mon âme à ton approche dont les pas sont pareils aux astres pâles qui marchent sur la brume.

Délivré d’être libre, j’épouse en toi la chère pauvreté avec ses mains d’absente plus belles que les diamants des Indes.

Puissé-je, le soir de l’agonie, dormir sur un coteau tremblant jusqu’au réveil dans cette rosée dont m’aura enveloppé ton souffle.


Jean Grosjean, Élégies, 1967