Salut (Jacques Réda)

À ceux qui sont morts sans ami dans une infirmerie
Par un après-midi d’été massif à Toul, à Metz ;
D’une balle contre un talus, au bord d’une prairie ;
Dissous dans l’air, dans l’eau salée, et tous pour la patrie
(Et quelques-uns d’apoplexie en revenant du mess) ;

Aux derniers escadrons portant la crinière et la lance
Qui pendant la Marne ont chargé les premiers vrais avions ;
À tous ceux qui (debout les morts, les vivants s’en balancent)
Se sont encore un coup extraits des boyaux en silence,
N’ayant jamais voulu cela (non, mais nous le devions) ;

À ceux qui cinquante ans après, du côté de Rufisque,
Ont sorti la capote en drap mitée avec sa brisque,
Leur quincaillerie héroïque et le gros ceinturon,
Pour revenir, sans dents, la tête grise et le menton
Tremblant, saluer devant Douaumont et le Mort-Homme ;

Au soldat Bachir Mohammed qui, sans fleurs ni couronne,
Est tombé le 20 juin 1940, pour des clous,
En défendant un pont sur la Loire en Anjou, doux
Jardin de la France.


Jacques Réda, Lettre sur l’univers, 1991