Amour, prends-moi la main, que la nuit passe
autour de nous avec ses ruses et ses ongles
qui s’acharnent sur les visages et ne respectent
aucun dormeur, nulle beauté. Mais que sa loi
du moins réveille en nous la communion de l’espérance.
Est-il trop tard ? Sainte est la limite du corps
et les mains d’ombre qui s’étreignent et la lumière
intérieure du regard que rien ne peut altérer ni vieillir.
Qui le dira, si je ne dis que l’origine est une absence,
un leurre, et qui dira
que la puissance inconnaissable de l’amour
est notre seule connaissance en ce sommeil ?
Trop tard, non pas. Prends-moi la main, frère orgueilleux
frère d’absence, entends le monde, entends le monde,
entends la terre qui respire avec les pierres
dans cette forêt des sommeils où tout épie
le pèlerin d’amour, quand parmi l’ombre des feuillages
couve encore l’or de midi.
Et sous les ronces, dans la persistante
chaleur des pierres, le dieu veille pour ceux qui veillent.
Aussi dans cette nuit vibrante, amour, je joins les mains
pour une incertaine prière, et je bénis
le temps qui brûle, enfant lui-même,
le corps des dieux dans l’incendie du soir.
Viens. Nous habiterons cette nuit même
qui nous détruit. La nuit d’enfance
qui toujours revient à sa source et remonte
le long de ses chemins secrets.
Jean-Yves Masson, Offrandes, Voix d’encre, 1995