André Laude est vivant (Gilbert Joncour)

Variante une

Qu’ai-je étreint dans ma vie
sinon de vains nuages
J’ai su très tôt Seigneur
que tout était écrit

Qu’à trop vouloir parler
on se damnait ; Maudit
Je n’ai vu dans ma vie
que malheurs et naufrages

Ma révolte criait
obstinément sa rage
Elle éprouvait mon corps
et bravait l’interdit

Mais j’ai toujours cherché
sur terre un paradis
Et je n’ai vu qu’enfers
cruautés et carnages

J’ai aimé la beauté
Je l’ai vêtue de noir
Rendu l’âme et dent fois
abandonné l’espoir

Au cœur d’un ciel muet
dont je baisais le marbre
Pour toujours priant seul
mais jamais à genoux

Debout, juché parmi
les branches bleues d’un arbre
Je bois tout l’univers
les yeux comme des trous

Variante deux

La colère et l’écume
ont déserté son cri
Il veille à l’infini
son souffle est sur ma bouche

Et dans le grand silence
étoilé de ma couche
Son beau visage d’homme
éclaire en moi la nuit

Sa rage au cœur du jour
à jamais s’est enfouie
Il y va de sa larme
en regardant les mouches

Et l’ombre qui blanchit
sous le froid qui le touche
Encercle en son absence
une ombre qui dit – Fuis ! –

Cet être sans abri
enivre en vain sa peine
Sa laideur lui sourit
dans l’alcool blanc d’un soir

Ainsi qu’un rubis sombre
Ô ce vin vieux qui traîne
Fantôme au fond d’un verre
un œil vide croit voir

La truffe bleue d’un chien
qui fouille à perdre haleine
Une poubelle au seuil
d’un terrifiant trou noir


Gilbert Joncour, Psaumes pour une faim de ciel, Amis de Hors Jeu Éditions
Hors Jeu, n° 26, octobre 1997