Et c’est comme un début de foule humaine (André Laude)

Terre de Nazim
Terre d’Abdou
Terre d’Abraham

Terre de Paris,
nue et blessée
cité interdite
aux vitrines reflétant la plus haute solitude.

Une population bariolée de visages
crispés
broyée par l’étau des sueurs d’angoisse.

Et l’engrenage des mots qui font des plaies béantes :
Métro, Sommeil, Chômage, Banlieues d’insécurité
– les chasseurs de faciès ne dorment que d’un œil –
Pluie, vent glacial, chambres sordides éclairées par les larmes
Les poings serrés de rage, de détresse, d’insomnie.

Là-bas, très loin, l’épouse, la tendre fiancée
Couleur jasmin, couleur cacao, couleur de luth,
de jardin submergé par la marée des oiseaux,
libres et scintillants.

Terre de Nedjma
Terre de femmes au triple au quadruple exil
De femmes de silence voilées, d’effacement
Terre de Wolof et Terre de Sétif.

Terre de Paris
qui file entre les doigts comme le sable des déserts.

Ville Lumière
qui pointe mille épées vers les cœurs brisés
les corps colonisés par le plomb de la fatigue,
de l’heure d’hiver qui aiguise l’angle de la rue.
Parfois, un sourire de l’Autre, l’inconnu
Et c’est comme un début de foule humaine
Sur les lèvres ;
Au plus profond des yeux.


André Laude, Hors Jeu, n° 48, mars 2006