Étends la paix (Jean Lavoué)

Pour frère Roger de Taizé


Par le ciel épargné
Par le juste tombé
Par l’âme qu’on assassine
Retiens la paix
Par la gorge serrée
Par l’oiseau qui se tait
Par l’aube que l’on devine
Garde la paix
Par le baiser perdu
Par le chant arrêté
Par la nuit confondue
Porte la paix
Par la fenêtre ouverte
Par le matin qui tremble
Par la joie redonnée
Étends la paix

Par la terreur glacée
Par la haine triomphante
Par la colombe tuée
Retiens la paix
Par le vol suspendu
Par l’instant qui gravite
Par le regard volé
Garde la paix
Par le soleil taché
Par trois gouttes de sang
Par l’espoir envolé
Porte la paix
Par le ciel ton ami
Par la rose coupée
Par la source endormie
Étends la paix

Par l’enfant que j’étais
Par la beauté trahie
Par l’astre qui n’est plus
Retiens la paix
Par le sel de tes larmes
Par la peur familière
Par les journées vaincues
Garde la paix
Par le bonheur gagné
Par la vie déployée
Par la confiance nue
Porte la paix
Par la fraternité
Par la gerbe nouée
Et par le pain rompu
Étends la paix

Par les greniers vidés
Par le grain dispersé
Par la moisson ardente
Retiens la paix
Par la folie têtue
Par l’âme prisonnière
Par le mensonge armé
Garde la paix
Par le chant par le rire
Par les voix du bonheur
Par toutes tes enfances
Porte la paix
Par l’attente étonnée
Par le silence aimé
Par les mots dans le cœur
Étends la paix

Par l’éclat des douleurs
Par la plus lourde branche
Par la mort devancée
Retiens la paix
Par l’écriture blanche
Par le poème dressé
Par la juste ferveur
Garde la paix
Par la route qui est longue
Par la terre qui est ronde
Par le feu des chansons
Porte la paix
Par le soleil qui luit
Par le vent qui dessine
Par la vie qui chemine
Étends la paix

Par l’âme qui se souvient
Par le chant retrouvé
Par le sourire ailé
Retiens la paix
Par les mille couleurs
Par l’arc-en-ciel en fête
Par la terre incendiée
Garde la paix
Par le geste qui invite
Et le jour qui se lève
Par le visage neuf
Porte la paix
Par la main qui console
Par la tendresse offerte
Par ton rire étoilé
Étends la paix


Jean Lavoué, Hors Jeu, n° 49, mai 2006