Par l’absolu d’un songe (Jean-Louis Breuil)

[Extraits]

La mort console, mais les morts, tous les morts au loin
Peut-être se doutent-ils de quelque chose
Attendent-ils que le nocher ait retrouvé ses clés ?
Et les autres, ceux et celles qu’on a aimés
Se retrouveront-ils aux pieds des cimes ?
En quel chemin s’égarer au large des cieux
À quel récif s’agripper le temps d’une marée ?
La mort isole, et les morts, tous les morts sont seuls
Où atteindront-ils le Sud étincelant de leurs retrouvailles
Marche après marche vers la lumière ?
Parole leurs quelques mots d’absence ou de foudre
Qu’ils éteignent en silence avant de s’éloigner
D’un songe condamné à sculpter de vaines idoles

Peut-être en un verger d’été au plus clair du temps nul
Au douzième coup de la dernière heure inhumée
Sans imaginer qu’on meurt durant toute éternité
Qui sait ? en un jardin miné d’aubépine et de glaives

Sous le songe d’un autre pays, les eaux grises
Des signes à la source exaucée d’un jet de pierres
Entre aveugle présence et insondable voix
Portée jusqu’à la plénitude du désert

Signe du temps
La main d’un veilleur crispée sur l’horizon nu
Comme si une autre terre allait aborder
L’absolu à la proue des signes immortels
Tandis qu’aux mêmes sources l’eau consent aux pierres

Veilleur de terre
Accueille en toi la voix des signes souverains
Et veuille s’ouvrir, si fragile, la parole

Que la plénitude de présence soit un signe
Criant sa faim dans l’absence qui te révèle
(...)
Lointaine mélodie de signes déchirés
Ta voix de sève

N’ayant jamais été la voix âpre d’un site
Ni la voix allusive du seul matin quotidien

Ta voix d’aubier
N’ayant jamais rien su qui fût serment, destin
Préfère-lui l’airain

Pays des métaux frappés d’un timbre clair et d’échos
Que tu ne sais lire si près du lieu à jamais inconnu
Malgré cette rue qui va entre deux pignons mêlés
Aux liserons en palissades du jardin qui te vit naître

À l’enfance d’une voix
(...)

Il est un feu de tourbe que couvre la pierre
Clair comme un ciel pris dans le vent d’une eau de roche
Un feu délié des flammes d’une huile trop pure
Invisible signe d’autres fers, d’autres forges
Sous l’ubac d’anciens profils aux sèves cendrées
Qui crépitent comme s’évide le chemin

Au seuil de parole abandonné aux pierres
Seul un signe de joie recouvert d’ortie blanche
Un vieux mur lézardé de merisier sauvage

Ici et ailleurs
À force d’être présence
À la seule joie d’entrouvrir les portes closes
Et de nommer l’étrange visage des choses
Qui se consument enfin de silence infini
Montant l’une après l’autre au bûcher de parole


Jean-Louis Breuil (1940-1989)