[Extraits]
La mort console, mais les morts, tous les morts au
loin
Peut-être se doutent-ils de quelque chose
Attendent-ils que le nocher ait retrouvé ses clés ?
Et les autres, ceux et celles qu’on a aimés
Se
retrouveront-ils aux pieds des cimes ?
En quel chemin
s’égarer au large des cieux
À quel récif
s’agripper le temps d’une marée ?
La
mort isole, et les morts, tous les morts sont seuls
Où
atteindront-ils le Sud étincelant de leurs retrouvailles
Marche après marche vers la lumière ?
Parole leurs quelques mots d’absence ou de foudre
Qu’ils
éteignent en silence avant de s’éloigner
D’un
songe condamné à sculpter de vaines idoles
Peut-être en un verger d’été
au plus clair du temps nul
Au douzième coup de la
dernière heure inhumée
Sans imaginer qu’on
meurt durant toute éternité
Qui sait ? en un
jardin miné d’aubépine et de glaives
Sous le songe d’un autre pays, les eaux
grises
Des signes à la source exaucée d’un
jet de pierres
Entre aveugle présence et insondable voix
Portée jusqu’à la plénitude du
désert
Signe du temps
La main d’un veilleur
crispée sur l’horizon nu
Comme si une autre terre
allait aborder
L’absolu à la proue des signes
immortels
Tandis qu’aux mêmes sources l’eau
consent aux pierres
Veilleur de terre
Accueille en toi la voix
des signes souverains
Et veuille s’ouvrir, si fragile, la
parole
Que la plénitude de présence soit un
signe
Criant sa faim dans l’absence qui te révèle
(...)
Lointaine mélodie de signes déchirés
Ta voix de sève
N’ayant jamais été la voix
âpre d’un site
Ni la voix allusive du seul matin
quotidien
Ta voix d’aubier
N’ayant jamais
rien su qui fût serment, destin
Préfère-lui
l’airain
Pays des métaux frappés d’un
timbre clair et d’échos
Que tu ne sais lire si
près du lieu à jamais inconnu
Malgré cette
rue qui va entre deux pignons mêlés
Aux liserons
en palissades du jardin qui te vit naître
À l’enfance d’une voix
(...)
Il est un feu de tourbe que couvre la pierre
Clair comme un ciel pris dans le vent d’une eau de roche
Un feu délié des flammes d’une huile trop
pure
Invisible signe d’autres fers, d’autres forges
Sous l’ubac d’anciens profils aux sèves
cendrées
Qui crépitent comme s’évide
le chemin
Au seuil de parole abandonné aux pierres
Seul un signe de joie recouvert d’ortie blanche
Un
vieux mur lézardé de merisier sauvage
Ici et ailleurs
À force d’être
présence
À la seule joie d’entrouvrir les
portes closes
Et de nommer l’étrange visage des
choses
Qui se consument enfin de silence infini
Montant
l’une après l’autre au bûcher de parole
Jean-Louis Breuil (1940-1989)