[Extrait]
III
Il montait. – Ses habits étaient
pétris de neige,
Les hommes fascinés ne s’en
approchaient pas ;
Mais les femmes frôlaient sa robe
en gai cortège,
Et les petits enfants sautillaient sous
ses pas.
Il montait. – Entraînés dans
son brûlant sillage,
Tous marchaient en cadence et
chantaient à la fois,
Et les rameaux, courbés en
voûte à son passage,
Vibraient comme une harpe au
rythme humain des voix.
Il montait. – Son chemin poudroyait de
lumière.
Les astres se mouraient dans l’azur
ébloui
Son souffle ordonnateur soulevait la matière,
Et la terre et le ciel semblaient se fondre en Lui.
Alors, ouvrant son geste en large éploîment
d’ailes
Sur les fronts qu’enflammait l’or
d’un mystique jour,
Il jeta vers leur soif d’ivresses
éternelles
Son verbe ruisselant comme un fleuve
d’amour !
IV
Oh ! dans quel mirage et quelle magie
Vous
bercez-vous, pécheurs silencieux !
Vers quelle
splendeur en rêve surgie
Vos yeux ouvrent-ils leur flamme
élargie !
Qui donc vous donna pour gravir les cieux
Des ailes sous vos haillons radieux !
L’or de vos cheveux vole en auréoles
Autour de vos fronts qu’un souffle a grisés,
Femmes qui chassez les jadis frivoles !
Oh !
dites, dans quel ruisseau de symboles
Rafraîchissez-vous
vos cœurs embrasés
Où flambait l’horreur
des mauvais baisers !
Et vous, tout petits, vous les enfants roses,
Vous qui le suiviez bruyants et chantants,
Que
regardez-vous aux lointains flottants ?
Quel horizon
fleuri d’apothéoses
Voyez-vous jaillir des monts
éclatants,
Pour taire ébahis vos lèvres
mi-closes ?
Oh ! sublime extase, ô ravissement !
D’où venez-vous donc, parole épanchée
Sur chaque douleur visible ou cachée,
Pour
répandre ainsi le divin calmant
D’un espoir qui
tombe en blanche jonchée
Sur les maux guéris
éternellement ?
Oh ! comme on est loin, bien loin de la vie !
Dans le réveil d’un fabuleux matin,
Voici
qu’apparaît le futur jardin
Où toute âme
juste, au monde asservie,
Reprendra la part qui lui fut ravie
Des pommes d’amour du mystique Éden !
V
Un silence de joie enveloppait la plaine,
Le
lac, comme un miroir, tendait ses flots polis,
La brise même
avait retenu son haleine,
On eût dit qu’il marchait
sur un tapis de lys !
Et la colombe au chant moins doux que sa parole,
Et la rose, entrouverte au jour prêt à fleurir,
Apaisaient leur murmure et voilaient leur corolle,
Tandis
qu’il s’en allait vers l’immense avenir !
Et comme s’il laissait un lumineux vertige
Parmi les sables par sa robe sillonnés,
Une
poussière d’or, en nimbe qui voltige,
Marquait au
loin sa trace aux peuples entraînés.
Ils suivaient, et leurs mains s’épuisaient
en jonchées,
Leurs haillons se changeaient en hermines
de dieux,
Il perlait en leurs cœurs des fraîcheurs
de rosées,
Et des flammes couraient sur leurs fronts
glorieux.
Et Lui marchait toujours, en roi-soleil qui passe,
Vers l’autre roi-soleil dont l’invisible ardeur
Se
devinait prochaine au vermeil de l’espace,
Comme s’ils
se cherchaient pour fondre leur splendeur.
Les étoiles mouraient dans la clarté
naissante :
Puis le nimbe dont l’aube empourprait
les contours
S’épanouit en une aurore
éblouissante...
Et l’Astre-Dieu monta pour
toujours !... pour toujours.
Jean Carrère (1865-1932)