« À l’heure du couchant, quand ils affirmèrent leur amour... »
[...]
Avant que d’être au bas des abruptes
collines,
Ils se sont arrêtés, indécis,
plusieurs fois,
Car le souffle manquait aux creux de leurs
poitrines,
Non de fatigue, mais d’émois.
Ils ne se parlaient plus, n’osant pas les
paroles
Qui leur montaient du cœur avec le sang brutal ;
Elle, dans sa corbeille, effeuillait des corolles
Et lui, caressait son cheval.
Un ultime soleil incendiait la côte
Et
dans leurs yeux flambait un autre embrasement.
Un Angelus
sonna. Quel chaud bondissement !
C’était veille de Pentecôte.
En leurs seins Pentecôte aussi carillonnait.
Amants prêts aux aveux, cette fête est la vôtre ;
Dieu délia ce jour la langue de l’Apôtre
Du secret qui l’emprisonnait.
Donc en silence ils attendaient comme au Cénacle :
L’amour était venu depuis longtemps en eux
Et
leurs yeux se parlaient par leurs langues de feux :
Eurent-ils peur du doux miracle ?
Ils ont brisé soudain le limpide miroir ;
Ils ont clos la paupière au moment de l’extase ;
Ils ont jugé sans doute inutile la phrase,
Sachant ce qu’ils voulaient savoir ;
Car ils ont dénoué d’une
chaste manière
Leurs regards caressants l’un à
l’autre mêlés
Et les arcs de leurs yeux ont
lancé, bonds ailés,
Au loin leurs flèches de lumière.
Montre-leur ton visage aimé, cher horizon !
Là-bas le couchant roux face aux sombres montagnes
Dore
la cathédrale, haute sur les campagnes
Avec autour mille maisons ;
Partout voilà des champs allongés
côte à côte
Ou cerclant les coteaux de bruns
et verts colliers ;
Plus près, les toits coupés
de moitié par la côte ;
Les jardins, les mirabelliers.
C’est là que leurs regards d’un
vol aisé se portent
Comme deux ramiers bleus vers le
chêne natal,
Lors, voici leur maisons, les plus blanches
du val ;
Un sapin noir devant la porte ;
Dans la niche, Saint-Nicolas levant trois doigts :
Deux cœurs noirs dans le haut du vantail de la grange ;
Des treilles sur le mur, en espoir de vendange ;
Des pigeons au rebord des toits.
« Toits qui nous virent naître et
tous les deux semblables
Comme s’accordent bien –
pensaient-ils – sous l’azur
Vos vieux fronts
rougissants inclinés vers le mur !
« Ô tendre union désirable !
Nos mains qui n’osent pas encore se saisir
Mais que nous savons bien ne pouvoir désunir
Sont
pareilles, maisons ! à vos doubles murailles :
L’une ne peut bouger, que l’autre n’en
tressaille.
Nos cœurs ont tant battu de l’aile, à
l’unisson,
Sans chercher à se fuir, ô
demeures ! qu’ils sont
Comme les pigeons blancs des
faîtes qui s’accolent ;
L’un ne peut
s’envoler que l’autre ne s’envole.
Nos yeux où nos âmes s’échangent,
sont pareils
Aux vitres de cristal s’envoyant leurs
soleils
Telles, chaumières sœurs, vos fenêtres
voisines ;
L’une ne peut s’ouvrir que l’autre
ne fulmine.
Ô maisons ! – pensaient-ils encor –
Sont si proches vos cheminées
Que de vos âtres les fumées
Se prennent la taille au dehors ;
Ainsi les époux leurs aimées ;
Ainsi nos âmes entraînées
Par le calme vent de l’accord.
Ô fermes blanches adossées !
Au même soleil, vos murs gris
Le même jour se sont fleuris
De capucines haut dressées !
Comme vos treilles, doux abris !
Le même été nous a mûris :
Voici nos deux mêmes pensées. »
Mais l’ombre du sapin, haut debout sur les
seuils
Enveloppait déjà leur unique demeure.
Cependant vers la cime où le soleil demeure,
Ils
entendaient chanter, pleins d’ardeur, des bouvreuils
Et l’horizon buvait son breuvage de
flammes ;
À longs traits se vidait sa coupe au
firmament ;
Tout s’éteignait ainsi sur terre,
vaguement...
Tout se taisait... hormis l’amour dans leurs
deux âmes.
Ils ont tant regardé brunir les vallons
bleus
Que la nuit posséda soudain la vaste plaine.
Ô
silence ! berceau pour les premiers aveux
Plus sûr
et plus profond que la parole vaine !
Ô silence ! par toi l’amour fut
attesté.
Car quand le rossignol n’a qu’un
chant limité,
Quand les couples humains eux-mêmes,
sous la lune
Ont cessé d’exprimer l’espoir
ou l’infortune,
Muet pour trop de joie ou pour trop de
tourments,
Tu lances vers le ciel des appels véhéments ;
Tu maintiens sans fléchir le sublime langage
Par
lequel les Esprits se donnent témoignage !
Silence !
Eau bienfaisante ! à ta douce fraîcheur
Que
leur premier baiser germe comme une fleur
Car tel, dans l’air
calmé, le brûlant pâturage
Soudain
s’épanouit quand a coulé l’orage,
Tels,
rustiques amants, vos deux cœurs ont fleuri
L’un
sur l’autre penchés dans le soir attendri.
Homme !...
en tes bras ouverts reçois ta fiancée ;
La
voici devant toi comme un bouquet dressée.
Prends-la sur
ta poitrine ainsi que sur l’autel
On dépose une
offrande, et le pacte immortel.
Aspire son parfum jusqu’aux
racines même.
De ton bonheur humain luit l’aurore
suprême.
Qu’en l’azur de ton cœur cette
flamme d’amour
Ne meure pas avec le soleil de ce jour !
Comme la guêpe au creux d’un odorant
calice,
L’amertume est au fond d’un amoureux
caprice.
Aime-la jusqu’aux soirs après les courts
matins ;
Un seul baiser suffit à sceller deux
destins.
On ne peut demander aux roses que d’éclore
Et de parfumer l’air l’espace d’une aurore,
Mais non pas à la vierge en qui dort l’avenir.
Car ô mères ! par vous l’amour ne peut
finir :
Le bonheur qu’il nous donne un instant en ce
monde
Demeure plus longtemps que la brève seconde.
[...]
Pierre de Rozières, « L’idylle sur la prairie », Les reliques, vol. 1, 1917