« ... Quand la douleur chanta et que fructifia son Amour... »
Voici la fin du jour au murmure d’abeille,
Aux chansons d’eau, de cloche et de mère qui
veille.
Déjà l’ange du soir, dans la
brume, introduit
Comme un gage d’amour l’astre au
doigt de la nuit.
Un sommeil nuptial succède aux
fiançailles
Et la fleur du jardin lourd de pollen
tressaille
Car un fruit se prépare en elle et
s’arrondit.
Ô nuit d’étoiles pleine où
l’amour resplendit !
Verger baigné de lune où
les sèves bouillonnent !
Alcôve soupirante où
les lèvres se donnent !
Je ne viens pas chanter
l’ardente volupté
Mais l’adorable loi de la
fécondité.
Ah ! s’il te faut calmer le
désir qui te brille
Ainsi qu’un horizon le feu du
crépuscule,
Poète, ouvre ce soir ta fenêtre
à l’été !
Voici la fin du jour au murmure d’abeille,
Aux chansons d’eau, de cloche et de mère qui
veille.
Ô muse ! ouvre tes bras que j’y
sois balancé.
Nul encor ne m’a dit le nom de
fiancé ;
Que du moins ton baiser sur mon front
solitaire
Soit comme sur un pré l’orage salutaire
Quand par trop de chaleur, l’herbe n’a pu fleurir !
Redis-moi qu’il est bon pour chanter de souffrir
Et
qu’un cœur est obscur si rien ne le tourmente.
Mais
que l’amphore éclate où le bon vin fermente.
L’avenir est conçu dans le sombre chaos
Et
la terre en sa nuit méprise le repos :
Ah !
pour entendre mieux, non le ri de l’amante
Mais le chant
de douleur de la maternité,
Poète ouvre ce soir
ta fenêtre à l’été.
Voici la fin du jour au murmure d’abeille,
Aux chansons d’eau, de cloche et de mère qui
veille.
Nuit, temple sombre, un mystère est en toi,
divin
Qui me pénètre, enivrant et noir comme un
vin !
Attentive aux secrets du nocturne silence,
Femme,
ton sein frémit d’une sûre espérance !
Espoir au bond léger, te voici dans son cœur
Comme l’abeille d’or dans la glycine en fleur.
Qu’importe si mon âme est un champ sans lumière ;
Dans l’ombre se prépare une œuvre
prisonnière.
Ô landes en jachère et grises
de mon front !
De fertiles moissons en vous se lèveront :
Le vent fleuri d’avril au sol nu le murmure,
Me le
disent les blés dont les graines sont mûres.
Poète,
qui doutais de ta fécondité,
Ouvre au large ce
soir ta fenêtre à l’été.
Voici la fin du jour au murmure d’abeille,
Aux chansons d’eau, de cloche et de mère qui
veille.
Est-ce là les éclairs d’un
orage lointain
Ou terrible et brûlant, la forge au feu
soudain ?
Ouvrier noir, j’entends l’enclume
que tu frappes.
L’espalier de la nuit brille de rouges
grappes :
Ta lampe n’est pas seule, ô poète
anuité.
L’amour ou le travail en multiples clartés
S’agite ou se recueille en la chambre profonde.
Le
soir utile, au val, ruisselle encore et gronde.
Tout est
travail avant le calme de la nuit :
Du suprême
labeur je distingue le bruit,
Telle une eau, goutte à
goutte, en un vase d’argile ;
Il est sonore et doux
comme un vers de Virgile ;
Il a cent voix ; je les
reconnais aisément,
Hautes, claires, dans le nocturne
apaisement.
Voici le rude appel d’un taureau qui
s’empresse
Contre une crèche vide : oh !
la besogne presse
Ce soir ; le bouvier ne vient pas, car
il lui faut
Pour demain dès l’aurore appointer une
faux.
Là, sur son soc d’acier sa faucille
s’aiguise.
Voici sur la colline une cloche d’église ;
Une servante est là tournant le treuil d’un
puits :
L’urne tombe, clapote et tend la chaîne,
et puis
Remonte débordant d’eaux fraîches et
ruisselle
Sur la main qui l’emporte et le long des
margelles.
Poète, le sommeil n’est pas l’oisiveté,
Endors-toi, la fenêtre ouverte au soir d’été.
Voici la fin du jour au murmure d’abeille
Aux chansons d’eau, de cloche et de mère qui
veille.
Rumeur d’amour et de travail, sans nul
soleil !
Ô double effort de l’homme au seuil
du noir sommeil !
J’entends la nuit souffler comme
un bœuf à la peine.
Oui, le soir, grave et lourd,
se couche sur la plaine,
Ainsi qu’un bœuf :
ils attendent, l’ouvrage est fait,
À présent
c’est la nuit, le silence et la paix ;
Et voici
caressant l’herbe de la pelouse
La lune... un doux rayon
me charme, et blanc, m’épouse.
Terre, éclate,
ouvre-toi, comme un vaste fruit mûr ;
Frémis,
sein maternel ! où veille un cœur futur ;
Poète, jette un cri : que ton front se délivre !
Dépose un laurier d’or aux feuillets de ton
livre !
Accroche aux doux berceaux la jeune floraison !
Voici l’heure propice où fleurit le gazon.
Voici
venu le soir au murmure d’abeille,
Aux chansons d’eau,
de cloche et de mère qui veille.
Le soir où toute
chose avec amour sommeille,
Le soir où l’âme
en fleur des poètes s’éveille,
Pour fêter
les secrets d’une nativité
Demeure à la
fenêtre ouverte au soir d’été.
Pierre de Rozières, « L’idylle sur la prairie », Les reliques, vol. 1, 1917