« À la saison des foins, quand ils devinèrent leur Amour... »
[...]
Voici du soleil sur les prés. Les grillons
crissent.
Ils sont cent... à ceux-ci, d’autres
aussi s’unissent...
Du sol leur chanson sort, son tenace
et perçant.
C’est ce concert, de dissonances
agaçant,
Qui m’attire vers les grandes herbes
égales
Au centre des rayons dansants et des cigales.
Voici du soleil sur les prés. Les foins sont mûrs.
Midi. L’on cherche en vain de l’ombre
au pied des murs.
Lourd, un frelon bourdonne autour des
graminées ;
Je suis, parmi les fleurs, ses
fantasques tournées.
Mais d’aller sous le ciel de
l’été ruisselant,
D’aspirer les
parfums du haut gazon brillant,
D’écouter ces
grillons se succéder sans cesse,
Je me sens défaillir
de chaleur et d’ivresse.
Un vertige clôt ma
paupière. Ô faibles yeux
Qui ne peuvent s’ouvrir
face à l’éclat des cieux !
Vous voilà
donc fermés devant l’ardente image
Peinte d’or
et d’azur qu’est le splendide herbage !
Mais
ce n’est qu’un instant de défaillance, il faut
Rouvrir les yeux et les plonger comme des faux
Dans
l’herbe, aigus, luisants, et faire bon ouvrage
Et
profiter de ce beau temps sans nul orage.
[...]
*
Ô stridentes cigales !
Danseuses qui menez les
rondes provençales !
Le poète aujourd’huy
pour se mettre d’accord
Avec votre musique excitante,
s’avance
Sur les gazons roussis par l’ardent
messidor
Et délaisse son luth aux graves cordes d’or
Pour le fifre agaçant, aiguillon de la danse,
Où sont les lentes fourmis
Aux pas raccourcis ?
Ô stridentes cigales !
Vous mordez de baisers les
herbes provençales !
En vous dut s’incarner
l’âme des sylphes bleus !
Comme battent les
cœurs dans les seins chauds d’aveux,
Pourquoi
sauter ainsi dans les gazons en feux ?
Espérez-vous
cueillir au sommet de leurs tiges
La caresse des blés
épris de vos voltiges ?
Où sont les prudes fourmis
Aux cœurs endormis ?
Ô stridentes cigales !
Inlassables refrains des
chansons provençales r
Pour apprendre à chanter
au rustique grillon
Un jour vous arrivez, filles de la Bohême,
Sur des ailes ;... votre roulotte est un rayon
Riches
de gai savoir, misérables quand même,
Car vous ne
quêtez pas pour mimer un poème !
Où sont les sages fourmis
La tête aux profits ?
Ô stridentes cigales !
Vos rondes, vos chansons, vos
baisers n’ont qu’un jour
Comme en nous la gaîté,
la jeunesse et l’amour !
Il en est cependant aux
heures automnales
Qui restent défiant la neige et le
trépas.
Elles ont trop bon cœur ; elles ne
partent pas
Pour ne point vous peiner, ô terres
provençales !
Où sont les noires fourmis
Aux sombres abris ?
Imprudente cigale !
Comme un vieillard fidèle à
sa voix conjugale,
Qui voulut trop aimer malgré l’âge
pervers,
Te voici morte, ventre en l’air, le cœur
ouvert,
Je vous entends jaser, bourgeoises dans vos
chambres :
« Que sert d’avoir chanté,
quand est venu décembre ? »
Ce sont les vieilles fourmis
Aux ventres garnis.
Ô cigale ! ô jeunesse !
« Que
sert d’avoir aimé quand viendra la vieillesse ? »
... Mais d’avoir obéi à Celui qui fait loi.
De vivre jusqu’au bout pour d’autres que pour soi.
Ô cigale d’hivers ! ta mort qu’on
calomnie,
Je la trouve superbe et sans ignominie.
Oui !
tu fus charitable et tu fus bonne, ainsi,
De nous prêcher
l’Amour vainqueur du noir souci !
Non ! tu ne
mourus pas de trop d’imprévoyance !
Tu
chantas seulement, trop tard.... par bienfaisance.
C’est
pourquoi je te chante, ici-même aujourd’hui,
Alors
que l’amour naît... Toi, qui mourus par lui !
Heureux qui dans son cœur a trouvé son génie ;
Heureux qui par le cœur trouve son agonie !
À
celui-là l’Amour Éternel est promis.....
... Non pas aux tristes fourmis
Qui n’ont pas d’amis !
Pierre de Rozières, « L’idylle sur la prairie », Les reliques, vol. 1, 1917