Que me sert-il d’aimer une Dame amoureuse,
Dont les yeux m’ont su vaincre et me rendre vainqueur,
Puisque pour m’affliger la fortune ennuyeuse
Me prive sans espoir des appâts de mon cœur ?
Il me semble que le sort, aux ailes inconstantes,
Ait déclaré la guerre à nos belles amours,
Désunissant, cruel, deux âmes si constantes,
Il borne du malheur de nos aises le cours
Les cœurs (en fait d’Amour) qui ne peuvent atteindre
Au fruit de leur attente, au but de leurs désirs,
Ils meurent de regret, et ne font que se plaindre,
Témoin leur triste voix, leurs pleurs et leurs soupirs.
Mais ceux qui, favoris d'une douce maîtresse,
Ignorent les dédains, les refus, le mépris,
(Je dis ceux que sans fard, fidèle, elle caresse)
Ne sont-ils pas de joie heureusement épris ?
Grand miracle qu’Amour montre en deux belles âmes !
Deux cœurs n’étant qu’un cœur, sont sujets aux douleurs,
Ah ! sort, ne sont-ce point tes violentes flammes
Qui nous ont suscité tant et tant de malheurs !
Non, ce n’est pas le sort, trop faible est la fortune
Au respect de l’Amour, de tout maître en effet,
Non, ce n'est point Amour qui notre aise importune,
Las ! il ne voudrait pas perdre ce qu’il a fait.
Or pendant que mes plaintes accompagnent mes larmes,
Que ma voix va chantant la cruauté du sort,
Amour et le destin se livrent maints alarmes,
Mais hélas ! contre Amour inutile est l’effort.
Il faut dire qu’Amour se sait rendu ployable
Aux faiblesses du sort, pour puis mieux le saisir,
Ou bien qu’il veuille un temps me rendre misérable,
Disant que l’amertume est le suc du plaisir.
Claude Hopil, « Stances », Mélange de poésies
(publié en annexe de ses Œuvres chrétiennes), 1603