Le Sermon sur la Montagne (Jean Carrère)

[Extrait]

III

Il montait. – Ses habits étaient pétris de neige,
Les hommes fascinés ne s’en approchaient pas ;
Mais les femmes frôlaient sa robe en gai cortège,
Et les petits enfants sautillaient sous ses pas.

Il montait. – Entraînés dans son brûlant sillage,
Tous marchaient en cadence et chantaient à la fois,
Et les rameaux, courbés en voûte à son passage,
Vibraient comme une harpe au rythme humain des voix.

Il montait. – Son chemin poudroyait de lumière.
Les astres se mouraient dans l’azur ébloui
Son souffle ordonnateur soulevait la matière,
Et la terre et le ciel semblaient se fondre en Lui.

Alors, ouvrant son geste en large éploîment d’ailes
Sur les fronts qu’enflammait l’or d’un mystique jour,
Il jeta vers leur soif d’ivresses éternelles
Son verbe ruisselant comme un fleuve d’amour !

IV

Oh ! dans quel mirage et quelle magie
Vous bercez-vous, pécheurs silencieux !
Vers quelle splendeur en rêve surgie
Vos yeux ouvrent-ils leur flamme élargie !
Qui donc vous donna pour gravir les cieux
Des ailes sous vos haillons radieux !

L’or de vos cheveux vole en auréoles
Autour de vos fronts qu’un souffle a grisés,
Femmes qui chassez les jadis frivoles !
Oh ! dites, dans quel ruisseau de symboles
Rafraîchissez-vous vos cœurs embrasés
Où flambait l’horreur des mauvais baisers !

Et vous, tout petits, vous les enfants roses,
Vous qui le suiviez bruyants et chantants,
Que regardez-vous aux lointains flottants ?
Quel horizon fleuri d’apothéoses
Voyez-vous jaillir des monts éclatants,
Pour taire ébahis vos lèvres mi-closes ?

Oh ! sublime extase, ô ravissement !
D’où venez-vous donc, parole épanchée
Sur chaque douleur visible ou cachée,
Pour répandre ainsi le divin calmant
D’un espoir qui tombe en blanche jonchée
Sur les maux guéris éternellement ?

Oh ! comme on est loin, bien loin de la vie !
Dans le réveil d’un fabuleux matin,
Voici qu’apparaît le futur jardin
Où toute âme juste, au monde asservie,
Reprendra la part qui lui fut ravie
Des pommes d’amour du mystique Éden !

V

Un silence de joie enveloppait la plaine,
Le lac, comme un miroir, tendait ses flots polis,
La brise même avait retenu son haleine,
On eût dit qu’il marchait sur un tapis de lys !

Et la colombe au chant moins doux que sa parole,
Et la rose, entrouverte au jour prêt à fleurir,
Apaisaient leur murmure et voilaient leur corolle,
Tandis qu’il s’en allait vers l’immense avenir !

Et comme s’il laissait un lumineux vertige
Parmi les sables par sa robe sillonnés,
Une poussière d’or, en nimbe qui voltige,
Marquait au loin sa trace aux peuples entraînés.

Ils suivaient, et leurs mains s’épuisaient en jonchées,
Leurs haillons se changeaient en hermines de dieux,
Il perlait en leurs cœurs des fraîcheurs de rosées,
Et des flammes couraient sur leurs fronts glorieux.

Et Lui marchait toujours, en roi-soleil qui passe,
Vers l’autre roi-soleil dont l’invisible ardeur
Se devinait prochaine au vermeil de l’espace,
Comme s’ils se cherchaient pour fondre leur splendeur.

Les étoiles mouraient dans la clarté naissante :
Puis le nimbe dont l’aube empourprait les contours
S’épanouit en une aurore éblouissante...
Et l’Astre-Dieu monta pour toujours !... pour toujours.

Jean Carrère (1865-1932)