Vous n’étiez qu’une enfant lorsque je vous connus,
Ô ma jeune amour ignorée !
Vous n’étiez qu’une enfant, et vous marchiez pieds nus,
Dans une robe déchirée.
Vous aviez des yeux bleus et de longs cheveux bruns
Qui, rebelles, rompaient leurs tresses,
Tant les grands souffles fous, tant les libres embruns
Les avaient grisés de caresses.
Vos cheveux étaient bruns, et vos pieds étaient blancs,
Tout le jour lustrés par les ondes ;
Votre jupe, nouée autour de vos deux flancs,
Laissait voir vos deux jambes rondes.
Le parfum qui sortait de vous était amer
Comme l’odeur qui vient des plages,
Et vous aviez en vous la santé de la mer,
Ô pêcheuse de coquillages !
Je n’étais qu’un enfant… Maintenant, je suis vieux :
On vieillit vite loin des grèves !
Et pourquoi donc, ce soir, l’éclair de vos grands yeux
Traverse-t-il ainsi mes rêves ?
Est-ce un pressentiment qu’il faudrait revenir,
Que le son des cloches m’appelle ,
Que vous avez gardé mon profond souvenir,
Et que vous êtes toujours belle ?
Mais non ! Les Angélus, au fond des soirs brumeux,
Se taisent pour l’exilé triste !
Les champs m’ont oublié, vous avez fait comme eux,
Vous ne savez plus que j’existe.
Puis vous êtes allée aux pardons d’alentour,
Où vous avez dansé sans doute ;
Et, quelque fier danseur vous guettant au retour,
Vous avez fait à deux la route.
Le sentier, très étroit, passe au milieu des blés :
On marche tout près l’un de l’autre,
Et lui s’est enhardi devant vos yeux troublés
Jusqu’à prendre en sa main la vôtre.
C’est pourquoi vous bercez à cette heure un enfant…
Fasse le bon Dieu qu’il prospère,
Qu’il tette à pleine soif votre lait triomphant
Et soit marin, comme son père !
Anatole Le Braz, extrait du Parnasse breton contemporain, 1889