Comme ce fut terrible, indicible, soudain,
Ce
fut un incendie, un vertige, une crue,
Le destin qui montait,
du vent dans un jardin,
Une longue clameur ainsi que dans la
rue.
Ce fut infini, bref... et ce fut, tout mêlé,
De l’effroi, de l’éclair, du bonheur, de
l’abîme...
C’était agonisant comme un
ciel étoile,
Et plus poignant que quelque chose de
sublime.
Je regardais... C’était l’extase
et la stupeur ;
L’instant avait l’ampleur de
la lune et d’un gave,
Et du silence grand de l’orage
qui meurt,
Et du sanglot qui croît dans un instrument
grave.
Avant qu’il ne parût je l’ignorais
encor,
Et, cependant, je crus que, plus que la prière,
Que la bonté, l’ardeur, le rêve de la mort,
Il m’était, à jamais, devenu nécessaire.
Je regardais, et c’était tout
l’étonnement
Que l’admiration met aux yeux
de la femme,
Et ce fut, tout à coup, un si complet
tourment
Que j’en aurais voulu mourir jusque dans l’âme.
Il me vint du génie et des larmes... J’eus
peur...
J’aurais voulu chanter sur la haute montagne,
Dire à cet inconnu : « Reconnais ma
douceur,
Vois mon pas, il se lève, il crie, il
t’accompagne... »
Au delà de la vie il me faudrait durer
Pour pouvoir épuiser ce que, dans l’heure brève,
Ses yeux ont contenu de silence sacré,
De
flottante douceur, de mystère et de rêve.
Ils semblaient rayonner sur un couchant doré,
Ils laissaient déborder la splendeur éternelle,
Et l’humaine douleur qu’au fond de leur prunelle,
Les dieux ont le regret de ne pas voir pleurer.
Hélène Picard, L’instant éternel, 1907