Encor, Seigneur, encor une nuit d’insomnie !
—
— C’est en vain qu’à travers
les carreaux froids, mes yeux
Peuvent voir palpiter la moisson
infinie
De vos étoiles, dans vos cieux.
Je pense à d’autres feux, là-bas
vers nos frontières.
Et cependant, là-haut, vos
Anges, doucement,
Entretiennent, Seigneur, les tranquilles
lumières
Dont scintille le firmament.
Je songe à notre France et songe à
l’Italie,
Opposant au Barbare un mur fait de leurs chairs
;
Un invincible amour à toutes deux me lie
:
Leurs deux étendards me sont chers.
De mon chevet j’écoute au fond du
sombre espace,
Je vois de loin, je vois, hélas ! et je
comprends...
C’est là-bas, dans la nuit vibrante,
un train qui passe,
Plein de blessés, plein de mourants.
Puis bientôt, puis demain, il en passera
d’autres,
Noirs, chargés de ces corps, dont nous
portons les coups.
Il nous faudrait, mon Dieu, la foi de vos
Apôtres
Pour savoir bénir vos courroux.
Si vous-avez voulu ces victimes sans nombre,
Donnez-leur de comprendre et de se résigner,
Donnez-leur de connaître, au seuil de la grande Ombre,
La joie immense de saigner,
De sentir que leur sang va nous être un
Baptême,
D’où nous renaîtrons tous :
et qu’ils auront écrit,
En rouge caractère,
un éternel poème,
À la revanche de l’Esprit.
Trains, passez, emportez vers des hôpitaux
calmes
Ces enfants ; que, là-bas, des mains de nobles
sœurs,
S’ils doivent s’en aller, jonchent
leurs corps de palmes.
Et maintenant, en haut les cœurs !
Nous avons tant souffert déjà :
tant de ruines,
Tant de mères sans fils, d’épouses
sans époux !
Trains, une horrible angoisse a serré
nos poitrines,
Comme si vous passiez sur nous.
Mais rien ne peut tuer l’Italie : et toi,
France,
Ton astre, sans déclin, pour les Nations luit.
— Vous n’écraserez pas dans nos cœurs
l’espérance,
Ô trains qui roulez dans la nuit.
Louis Le Cardonnel, De l’une à l’autre aurore, 1924