Liminaire (Amélie Murat)

Humblement, sur l’autel où d’autres ont laissé
Leur espoir, leur amour, leur vie ardente même,
J’apporte mon offrande... et ce n’est qu’un poème,
Plainte lyrique où pleure un sanglot cadencé.

Des mots, quand l’acte seul a sauvé ta fortune,
Patrie... Ah ! qu’il est pauvre, anxieux, hésitant,
Le geste qui, brûlé par ta gloire, lui tend
Cette cueille du jour, vainement opportune !

Mais comme on sanctifie au clair de l’ostensoir,
Pendant la Fête-Dieu dont s’accomplit l’Octave,
La gerbe sans prestige, à peine un peu suave,
Que dans la chambre close on suspendra, le soir :

J’élève des deux mains mon inutile offrande,
Face à ton paysage, à ton souffle, à ton ciel,
Pour que dans le secret du pacte rituel,
Un rayon de ta grâce, en sa forme, descende ;

Et ce féal hommage absolvant mon remords,
Contre ton sol sept fois sacré, je la dépose,
Comme l’unique, et grave, et douloureuse rose,
Que je puisse effeuiller sur les pieds de tes Morts...


Amélie Murat, Humblement, sur l’autel... (1914-1919), Jouve, 1919