Les mots, les mots spéciaux (Léon-Paul Fargue)

Les mots, les mots spéciaux qu’elle avait faits pour moi, je l’écoutais les dire à l’Autre.

J’entends sonner son sabre sur le bois du lit. J’entendrai toutes les paroles.

Quand il l’embrasse sur les yeux, là, tout au bord de l’île où s’allume une lampe, il sent ses paupières battre sous sa bouche comme la tête d’un oiseau qu’on a pris et qui a peur..

Il s’attarde au réseau des vaisseaux délicats comme l’ombre légère d’une plante marine..

Il caresse de tout son corps les seins qu’envenime l’amour...


J’entendrai tout, dans ce couloir aux minces cloisons, tout blanc de fenêtres, avec cette odeur fade et sucrée de la boiserie que le soleil chauffe..


Quelquefois j’attendais longtemps devant sa porte dans un décor si connu qu’il m’écœurait. J’y frappais. J’entendais le vide bâiller derrière.. On marchait bien vite, à côté, comme pour venir ouvrir..

Une heure se plaignait quelque part. Le soir tombait par les baies vitrées, sur les marches..


Et puis les houles du vent d’automne, des frissons d’arbres sur les remparts, l’odeur de la pluie dans les douves, et bien des chansons de Paris passèrent sur elle...


Léon-Paul Fargue, Poëmes, 1926