À l’ambulance (Marie Allo)

À M. Francis Vallée


Jean Le Braz est couché dans un lit d’hôpital,
Par un éclat d’obus, sa nuque est entaillée ;
La blessure profonde est encore émaillée
De mille fins graviers, de débris de métal.

Jean Le Braz est le fils d’un pêcheur de la côte,
Son père est mort en mer, lui laissant pour tout bien,
Ses filets, une pipe, un vieux paroissien,
Et cinq frères et sœurs, qui poussent côte à côte.

Quand éclata la guerre, il partit des premiers,
C’était un gars solide et sain, à poigne rude,
Il se battit, parmi les marins, à Dixmude,
Depuis lors, il s’ennuie, entouré d’oreillers.

Tout en fumant son éternelle cigarette,
Pour s’occuper, il cause avec un Parigot,
Son voisin d’ambulance, un gosse au teint pâlot,
Que la fièvre a plaqué d’un rose de fillette.

Parlant du camarade, un matin, le major
Dit : « L’affaiblissement de jour en jour s’accuse,
Il en mourra bientôt, à moins qu’on ne transfuse,
Dans ses veines, un sang plus vivace et plus fort. »

« Si ce n’est que du sang qu’il te faut, mon compère,
Pour te blinder ‒ dit Jean ‒ eh bien ! quoi ? je suis là !
Du sang, mon vieux biffin, en veux-tu ?… N’en voilà !
Car j’en ai, moi, du sang, qui bout à ne rien faire. »

« Est-ce bien sérieux ? ‒ dit le major. ‒ Pour sûr !
Je n’ai pas, que je crois, l’air de ç’ui qui veut rire :
Il redeviendra frais comme un soulier qu’on cire,
L’Parigot, moyennant un setier de sang pur. »

Et la transfusion, le lendemain, fut faite.
Puis, comme on savait Jean pauvre, on imagina
De faire une collecte, entre amis, qui donna
Cinq cents francs. De les lui porter, on se fit fête.

Mais le marin breton parut dans l’embarras,
Et répondit, la voix ferme, bien qu’attendrie :
« Merci ! mais cet argent, gardez-le, je vous prie,
Moi, je donne mon sang, et je ne le vends pas ! »


Marie Allo, Bretons d’après nature, Les Éditions Françaises, 1920