Allons ! Allons effeuiller des roses sous la lune.
Clos le jardin !… Chasse tous les soucis du jour,
Et ne nous parlons plus que de choses d’amour ;
Nous allons respirer nos roses une à une.
Descendons doucement par le vieil escalier
Qui creuse pour nos pas ses marches inégales ;
La rampe, en pierre aussi, s’use par intervalles
Et tend votre notre main son appui familier.
On a l’air à l’église ici ; le clocher proche
Apparaît au-dessus des arbres du jardin,
Le rose du Couchant sur son granit s’éteint,
Un pan de robe bleue autour de lui s’accroche.
La lune joue avec un peuplier d’argent,
Jette un croissant d’azur au bord de chaque feuille ;
Descendons l’escalier, le jardin se recueille ;
Vois comme son silence frais en engageant.
Que les roses ce soir parfument sous la lune !
Quand leur beauté pâlit, elles embaument mieux ;
Elles ne forment plus qu’un groupe harmonieux ;
Allons près des rosiers, détachons-en quelqu’une.
Celle-là, trop ouverte et qui va se flétrir,
Dont le rose ce soir est si doux et si pâle,
Nos doigts l’effeuilleront pétale par pétale,
Ainsi qu’un très ancien et très cher souvenir.
Chaque larme de fleurs doucement tombe à terre,
Trace un sillage clair et fait un léger bruit,
Qui semble le soupir du jardin dans la nuit ;
Pour le mieux écouter, laissons nos cœurs se taire.
Autour de la clarté trop vive, tout est noir ;
Sous sa lumière aux tons de regard qui se fane,
L’ombre que fait la lune est presque diaphane,
Et s’étend, comme un cerne argenté, dans le soir.
Tandis qu’à peine obscure, elle voile l’allée,
Au rosier de tendresse, effeuillés un à un,
Les pétales défaits ont un exquis parfum :
Une rose de souvenirs s’est écroulée.
Enivrons notre cœur, remplissons notre main
De souvenirs d’amour et de feuilles de rose,
Et, qu’en nous, un moment, leur grâce reste enclose.
Ah ! Que le clair de lune embellit le jardin !
Avant de les laisser, baisons-les une à une,
Puis remontons tous deux notre vieil escalier ;
Passons sous le frisson d’argent du peuplier,
Et quittons le jardin bleu pour la terre brune…
Nous avons effeuillé des roses sous la lune.
Mathilde Delaporte, La poésie de vivre, Jouve & Cie, Éditeur, Paris, 1920