Au Maître Anatole Le Braz
Thomas-coz* le grand-père, avec Thomas-bihan**,
En se donnant la main, s’en vont de compagnie,
Tous deux : l’un vers la mort, et l’autre vers la vie,
À pas lents de vieillard, à petits pas d’enfant.
L’un soixante-seize ans, l’autre, trois ans à peine,
Et néanmoins l’accord de ce couple est parfait,
C’est le vieil albatros conquis par l’oiselet,
Et c’est la primevère éprise du vieux chêne.
Le « tad-coz »***, loup de mer aux terribles sourcils,
Au visage envahi par la barbe en broussaille,
Et dont la lèvre aime à lancer le mot qui raille,
A de bons yeux d’enfant pour voir son petit-fils.
De Thomas-coz, Thomas-bihan a fait sa chose,
Et j’entendais dans le courtil au grand matin,
Se mariant à la basse du vieux marin,
Le gazouillis du petit gars à bouche rose.
Et lorsque le vieillard maintes fois me parla
Très grave, du beau temps, du vent d’est, de la flotte,
« Viens, tad-coz ! » ‒ disait Tom à la courte culotte,
Et le discours interrompu s’arrêtait là.
« Celui-ci, je ne sais pas vraiment pourquoi qu’il m’aime, »
‒ Disait pour s’excuser Thomas-coz tout joyeux, ‒
Et je voyais partir ce petit et ce vieux
Sur la phrase à l’accent breton, toujours la même.
Allez-vous-en, Thomas-coz et Thomas-bihan !
En vous donnant la main, allez de compagnie,
Tous deux, l’un vers la mort, et l’autre vers la vie,
À pas lents de vieillard, à petits pas d’enfant !
Marie Allo, Bretons d’après nature, Les Éditions Françaises, 1920
* Thomas-coz : Thomas-Vieux.
** Thomas-bihan : Thomas-Petit.
*** Tad-coz : Grand-père.