Matin marin… L’air souffle bleu ;
On se croirait aux premiers âges ;
Des grèves s’étendent sauvages,
Une fille passe au milieu ;
Une fille de la contrée,
Conduisant un char primitif,
Qui s’en va d’un élan natif
Vers la mer au loin retirée.
Trois beaux chevaux bruns du Léon
Tirent le char vers l’eau qui brille,
Et vont rêvant, avec la fille
En étroite communion.
Petite amazone marine
Assise sur son haut cheval
Jetant quelque ordre guttural ;
Son châle est plat sur sa poitrine.
Elle est sur le plus haut des trois ;
Parfois il fouette de sa queue
Les pieds nus sous la jupe bleue,
Elle le caresse parfois.
Sous sa coiffe aussi bleue et plate,
Luit son visage d’ambre clair ;
Le cheval hennit à la Mer
Quand la sauvage main le flatte.
D’un air barbare et virginal,
Seule dans cette solitude
Elle va sans inquiétude
Vers le grand élément natal ;
Vers la Mer, comme les aïeules,
Pour aller chercher le varech,
Ce foin marin, et faire avec,
Près des maisons, de sombres meules.
Le char disparaît dans les chocs
En clapotant à chaque flaque,
Et dans l’air paradisiaque,
Le granit dur dresse ses rocs.
Sur la grève, alors solitaire,
L’eau restée a fait des trous bleus,
Et, dans les lointains nébuleux,
Gronde la mer du Finistère.
On aperçoit, groupe géant,
Le troupeau noir des grandes îles,
Filles fièrement infertiles
De l’inviolable Océan ;
Et le Phare de l’île Vierge
Tout au loin là-bas, tout au fond,
Pour défendre ce coin breton
Comme une haute tour émerge.
Mathilde Delaporte, La Glèbe humaine, Albert Messein, éditeur, Paris, 1928