La Chanson de Nirvanâ II (Adolphe Retté)

Donc c’est la forêt du mensonge, morne dans la Nuit :
Jets d’eau très-loin, lente musique d’ennui
D’où le rêve lassé s’essore à petit bruit ―

Dormir en vos linceuls, ô feuillages jaunis ―

Ritournelle des vieux ennuis
Le vent sanglote dans la Nuit.

Le vent se venge ― ô frisson jusque dans les moelles, ―
Le vent disperse les feuilles et puis s’enfuit
Et là-haut les pâles caravanes d’étoiles
Se hâtent vers l’oasis de lune et ses puits.

Dormir insoucieux de l’Isis sous ses voiles ―

Complice des louches minuits
Le vent sanglote dans la Nuit

Aussi, des bassins où l’eau dort sans clapotis,
Où flottent des plumes de palombe envolée,
Et le triste traînis des feuilles des allées
Vient finir aux bassins et se mue en débris.

Pauvres feuilles d’amour si tremblantes sur l’eau !...
Et les Étoiles sont toutes tombées dans l’eau ―

Chantre des espoirs détruits,
Le vent sanglote dans la Nuit ―

Il fait tard il fait froid l’heure tombe assourdie,
C’est demain déjà, c’est l’hiver et c’est la vie ―
Seul veille un vieillard fou qui dit : « pouvoir
Un peu dormir, oh s’ignorer issu du noir
Errant au noir et guetté des gueules du noir
― »
Mais l’insomnie règne en la forêt des bannis...
              Le vent sanglote dans la Nuit.


Adolphe Retté, Cloches dans la Nuit, 1887