Le glas (Adolphe Retté)

Ah, les Voix, mourez donc, mourantes que vous êtes.
PAUL VERLAINE.


Le rêve se fut contenté de perpétuels liminaires
et pourtant s’assoiffait d’ivresses incertaines
et se plaignant d’illusoires chaînes
s’attardait au seuil de lumière
vers toi la coupe inépuisable et débordante de sanglots
           où de chers pleurs coulent à flots

Un coup la cloche tinte et encore un coup ―

Mais pourquoi le fixer en l’Infini défunt
on le sait douloureux et que c’est un mirage ? —
qui le sait par ce cycle faussé ? — pas un
tel le vautour repu se perd aux nuages

si le berçant en moi je le peux décisif ?
non il n’est qu’intime regret lancinant et plaintif —
oh ! ces larmes ces larmes qui coulent
et la trame maudite du vivre se déroule.

Un coup la cloche tinte et encore un coup —

Des figures glissent et gyrent en la brume
l’une incarnation de primordiale mélancolie
toi songe et viens revoir les lampes que j’allume
aux autels d’un souvenir de ta face appalie
et la vapeur monter vers toi de mes encens

ah ! je m’oublie en l’inconscient de tes pâles yeux innocents
je me leurre des pleurs de tes yeux à jamais humains
et t’offre le trésor inviolé de mes demains —
lors tu te révèles un phantôme grinçant

lassitude — un coup la cloche tinte et encore un coup —

ô Silence éperdu des Ténèbres futures
je te veux dédier ce rêve défaillant
puisqu’aux cercles d’humain son prestige ne dure,
ailé, débris hagard des âmes d’un instant
vers tes abîmes sourds il prendra son essor —

Derniers sons éteints le Nul tombe et la cloche a connu LA MORT.


Adolphe Retté, Cloches en la Nuit, 1889