À la tristesse (Adolphe Retté)

I

Des oiseaux blancs et des parfums mélancoliques
Volaient indolemment autour de ton sommeil ;
Nous avions parcouru des pays sans soleil ―
Ô brume, ô goélands, ô pâleurs idylliques.

Aujourd’hui c’est la fleur étonnée et l’Aurore :
Voici d’autres pays ― chantez, vagues vermeilles ! ―
Et des rêves dorés aux murmures d’abeilles
Nimbent de blonds enfants que ton silence adore.

Ma Dame, allons tous deux par ces grèves étranges,
Écoute palpiter de nouvelles colombes ―
Tous nos pensers mauvais s’endorment dans leur ombre
Et pour ces paradis nous renaissons des anges...

Et pourtant je fuirai, triste ― selon la lune ―
Le beau songe embaumé bruissant vers ta face...
Ô toi, tu m’ apparais quelqu’une qui s’efface...

Entends-tu quel vent noir s’éplore par la dune ?...

II

Sur tes genoux, ô Tristesse,
Je pose mon front souffrant :
Tes mains ― paresses, caresses ―
Guérissent mon front souffrant.

Tristesse, en tes flots tremblants,
Que ton eau lave ma fièvre ―
Je sens déjà sur mes lèvres
La fraîcheur des cieux nouveaux.

Hier, au fond des cieux nouveaux,
J’ai capté de blancs oiseaux
Gardiens des mers boréales...

Depuis, vers des femmes pâles
Je vais parmi les oiseaux.

Ô Tristesse dorloteuse,
Ô charitable Menteuse,
Garde mon âme du Réel,
Pose tes mains sur mon rêve,
Donne-moi l’aube de tes yeux :
J’y vois passer sur l’or des impossibles grèves
Des anges nimbés de cieux.


Adolphe Retté, Une belle dame passa, 1892